«'Si Elon Musk récupère Twitter, je quitte le réseau' est devenu le nouveau 'Si Trump gagne, je pars au Canada’», a résumé Carol Roth, entrepreneuse et auteure d'un essai sur les PME.
Le patron de Tesla et homme le plus riche au monde veut acquérir Twitter pour en faire, selon lui, un bastion de la liberté d'expression.Il estime que la modération des contenus va trop loin, et qu'il faudrait poser moins de limites aux utilisateurs, au nom de la démocratie.
«Twitter est devenu, de fait, la place publique. Donc il est vraiment important que les gens aient l'impression et la capacité de pouvoir parler librement dans les limites de la loi», a argumenté Elon Musk lors d'une conférence hier, jeudi 14 avril 2022.
Il ne s'est pas prononcé sur le cas emblématique de l'ancien président américain, Donald Trump, banni des plateformes grand public en janvier 2021 pour avoir incité ses partisans à la violence, après plusieurs avertissements, des messages retirés et l'invasion du Capitole qui a fait plusieurs morts.
«Je crois que nous devrions juste être très réticents avant de supprimer des choses et très prudents avec les interdictions permanentes. Elles devraient plutôt être temporaires», a développé l'homme d'affaires.
«Caprices de milliardaires»Cette approche enchante la droite conservatrice américaine et au-delà. L'intérêt d'Elon Musk pour Twitter est «la meilleure nouvelle pour la liberté d'expression depuis des années», s'est enthousiasmé Nigel Farage, un des leaders britanniques de la campagne en faveur du Brexit.
Mais pour de nombreux défenseurs des droits humains et élus démocrates, Twitter, comme Facebook ou YouTube, devrait au contraire mieux juguler la désinformation, les théories conspirationnistes, l'intolérance et la haine.
«Elon Musk lui-même a utilisé Twitter et d'autres plateformes pour attaquer et réduire au silence d'autres personnes. Il a répandu de la désinformation sur le Covid-19 et les vaccins. Il s'est servi de Twitter pour manipuler les marchés et augmenter sa fortune déjà considérable», a réagi Jessica Gonzalez, co-directrice de l'ONG Free Press, dans un communiqué.
«Les utilisateurs des réseaux sociaux ne devraient pas être soumis aux caprices de milliardaires grandiloquents qui sont détachés de la réalité», a-t-elle ajouté.
Cette volonté de moins modérer des échanges déjà souvent peu civils inquiète aussi des employés du groupe californien, selon plusieurs articles de presse.
D'autant que Tesla n'est pas connu seulement pour son succès et ses bénéfices: l'usine de Fremont, dans la Silicon Valley, fait l'objet de plaintes pour des cas de harcèlement et pour des discriminations raciales systémiques.
«Privatiser la place publique»«Des millions de personnes, notamment les journalistes, les artistes et les militants dépendent de cette plateforme pour faire leur travail», a souligné Evan Greer, directrice de l'ONG Fight for the Future, qui défend les droits numériques, dont la liberté d'expression.
«Le fait que nous soyons inquiets à l'idée que quelqu'un comme Elon Musk la rachète montre que nous avons un problème fondamental: trop peu d'entreprises avec trop de pouvoir».
L'opération financière pose en effet des questions autour du pouvoir accumulé par les grandes sociétés de la tech.
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Beaucoup d'élus américains des deux bords appellent depuis des années à mieux réguler les plateformes, notamment pour assurer plus de concurrence, sans s'accorder sur les solutions.
«Une seule personne qui possède toute la boîte, c'est parfait pour 'libérer les gens de l'Etat centralisé et du contrôle capitaliste’», a ironisé la spécialiste des médias Parker Molloy.
«C'est l'inverse qu'il faudrait. Twitter devrait être décentralisé», est intervenu Fred Wilson, un investisseur.
Elon Musk veut faire de la plateforme une entreprise privée, qui ne serait plus cotée en Bourse, et échapperait donc encore plus à tout contrôle extérieur.
La contradiction entre ses intentions affichées et sa méthode n'a pas échappé à certains experts.
«Je vais acheter la place publique et la privatiser pour la sauver! Essayez de dire ça à voix haute. C'est absurde», a fait remarquer Renee DiResta, chercheuse au Stanford Internet Observatory.