C'est son ennemi intime, le juge anticorruption Sergio Moro, qui a émis jeudi en fin de journée un mandat de dépôt contre Luiz Inacio Lula da Silva. "Au vu de la fonction qu'il a occupée, il aura la possibilité de se présenter volontairement à la police fédérale de Curitiba (Sud)" avant vendredi 17H00 locales (20H00 GMT), selon le mandat consulté par l'AFP.
Le juge Moro a interdit "l'utilisation de menottes dans tous les cas de figure" et a précisé qu'une "salle réservée" a été prévue dans les locaux de la police pour l'ancien métallo devenu président, "à l'écart des autres prisonniers sans aucun risque pour son intégrité morale ou physique".
Lula se trouvait jeudi à Sao Paulo, à environ 400 km de Curitiba, ville où est basé Sergio Moro, qui avait condamné l'icône de la gauche latinoaméricaine en première instance en juillet, un jugement confirmé en appel à la mi-janvier. Peu après l'annonce de l'émission du mandat de dépôt, le Parti des Travailleurs (PT), fondé par Lula dans les années 1980, a annoncé une "mobilisation générale" contre son incarcération.
Plusieurs milliers de sympathisants étaient massés jeudi soir au siège du syndicat des métallurgistes, à l'extérieur de Sao Paulo, où Lula devait intervenir. L'ancienne présidente Dilma Rousseff a pris la parole tard dans la nuit, juchée sur un camion devant une foule compacte qui agitait drapeaux rouges et pancartes. "Lula est innocent et il n'y a pas de crime plus grave que de condamner un innocent", a-t-elle lancé.
L'ancien chef de l'Etat a accordé une interview à un célèbre journaliste politique brésilien Kennedy Alencar. "Lula a dit que la prison était quelque chose +d'absurde+ sur lequel s'obstinent le juge Moro et ceux qui veulent le voir +un jour prisonnier+", a écrit le reporter sur Twitter, aussitôt retweeté par l'ancien dirigeant de 72 ans.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, la Cour suprême du Brésil avait rejeté une demande d'habeas corpus qui aurait permis à l'ex-président (2003-2010) de rester en liberté jusqu'à l'épuisement de tous les recours. Lula, 72 ans, a été condamné pour avoir reçu un luxueux appartement en bord de mer de la part d'une entreprise de bâtiment en échange de faveurs dans l'obtention de marchés publics.
Le poids lourd de la gauche au bord du KO, également sous le coup de six autres procédures judiciaires, nie farouchement, invoquant l'absence de preuves et dénonçant un complot visant à l'empêcher de se présenter à la présidentielle d'octobre. C'est une "violence sans précédents dans notre histoire démocratique", a réagi Gleisi Hoffmann, présidente du PT. "Un juge chargé de haine et de rancune, sans preuves" décide d'un "emprisonnement politique, qui rappelle les temps de la dictature", a-t-elle ajouté.
Situation ubuesque: Lula peut même faire campagne derrière les barreaux. La loi de "Ficha Limpa" (casier propre) le rend en théorie inéligible au vu de sa condamnation en appel. Mais sa candidature ne sera analysée formellement qu'en septembre par la justice électorale et ses avocats ont l'intention de multiplier les recours d'ici là.
Selon les analystes, sa candidature a de grandes chances d'être invalidée par la justice électorale, mais la stratégie du PT est de surfer sur l'émoi que suscite son incarcération pour qu'ensuite le "Plan B", un autre membre du parti, bénéficie du report de voix. "Si Lula pouvait être candidat, il arriverait automatiquement au second tour. Avec l'avance qu'il a dans les sondages il aurait été très peu probable qu'il n'y soit pas. Mais sans Lula, le jeu est ouvert", estime Michael Mohallem.
Mercredi soir, l'annonce de son revers face à la Cour suprême a été accueillie par des célébrations et des feux d'artifice de ses détracteurs à Brasilia. Dans ce pays qui a vécu sous le joug de la dictature militaire de 1964 à 1985, c'est le député d'extrême droite Jair Bolsonaro, grand nostalgique de cette époque, qui arrive derrière Lula dans les intentions de vote. "Le Brésil a marqué un but contre l'impunité et la corruption, mais ce n'est qu'un but, l'ennemi n'est pas encore vaincu", a-t-il déclaré dans une vidéo sur Youtube, appelant à élire en octobre un président "qui soit honnête".