Devant le Parlement à Londres, on s'est embrassé et on a chanté God Save the Queen pour savourer l'indépendance retrouvée. Dans le nord eurosceptique de l'Angleterre, le mousseux anglais a coulé à flot et des feux d'artifice ont été tirés. A Edimbourg, on a veillé au contraire à la lumière des bougies pour pleurer la séparation, avec le rêve de retrouver un jour le giron européen dans une Ecosse indépendante.
Après trois ans et demi de déchirements, le Brexit voté par 52% des Britanniques en 2016 est désormais réalité. Les amarres sont larguées, après 47 ans au quai européen. L'UE a perdu pour la première fois un Etat membre – et 66 millions d'habitants.
Mais si le Premier ministre Boris Johnson a promis ces derniers mois un nouvel âge d'or pour son pays, et même un baby-boom, tout reste à faire pour donner une existence concrète à son slogan de "Global Britain" censé symboliser un pays prêt à affronter la mondialisation.
Tournant vers des Etats-Unis qui lui tendent les bras? Nouveau concurrent dérégulé aux portes de l'UE? Ou au contraire proximité forte avec des Européens qui restent des partenaires incontournables? Dès lundi, l'ex-maire de Londres doit présenter sa vision dans un discours, tandis que le négociateur européen Michel Barnier détaillera ses priorités pour la nouvelle phase de discussions qui s'ouvre avec Londres.
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"Un peu triste"
S'exprimant dans une adresse diffusée une heure avant le grand saut, le frétillant dirigeant conservateur de 55 ans, qui a tout misé sur le Brexit, a promis un "succès retentissant", "quels que soient les obstacles".
"La chose la plus importante à dire ce soir, c'est que ce n'est pas la fin, mais le début, le moment où l'aube pointe et le rideau se lève sur un nouvel acte", a-t-il ajouté, lyrique. Il a promis "le début d'une nouvelle ère de coopération amicale" avec l'Union européenne.
Historique, l'événement marque un nouvel épisode où tout reste à écrire, mais pas la fin des divisions qui ont fracturé le Royaume-Uni. Les Remainers gardent un goût amer, notamment dans les provinces britanniques qui ont voté majoritairement pour rester dans l'UE, en Ecosse et Irlande du Nord.
"Je suis simplement contenant que ce soit fait", a résumé Cory, un Londonien de 29 ans venu devant le Parlement britannique marquer le coup avec les "Brexiters" les plus durs, venus faire la fête à l'appel de l'europhobe Nigel Farage. "C'est aussi un petit peu triste parce que l'UE aurait pu mieux faire s'ils avaient prêté plus d'attention aux pays membres".
Enthousiastes ou affligés, les journaux britanniques ont réservé au Brexit un accueil à l'image du pays sur la question: divisé. "Point de départ: le Royaume-Uni quitte l'UE", résume le Times. Le tabloïd Daily Express salue un "nouveau Royaume-Uni glorieux", tandis que le Daily Telegraph, proche du gouvernement conservateur, détaille les plans du Premier ministre pour imposer des contrôles douaniers aux produits européens et salue dans un éditorial: "Bien joué peuple britannique, enfin dehors".
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"Compétition néfaste "
Le moment est certes historique mais n'entraîne pas de grand changement concret dans l'immédiat. Pour que la séparation se fasse en douceur, le Royaume-Uni continuera d'appliquer les règles européennes jusqu'au 31 décembre. Sans avoir son mot à dire: l'Union Jack britannique a déjà disparu des institutions de l'UE.
Commerce, sécurité, pêche... Avec Bruxelles, les termes de la coopération doivent être définis d'ici à la fin de l'année. Dans les semaines à venir, des négociations qui s'annoncent âpres vont s'ouvrir et leur issue reste très incertaine.
"Nous ne pourrons pas laisser une compétition néfaste s'établir entre nous", a prévenu le président français dans une lettre aux Britanniques dans le Times. "Vous quittez l'Union européenne mais vous ne quittez pas l'Europe. Vous ne vous séparez ni de la France, ni de l'amitié de son peuple. La Manche n'a jamais réussi à éloigner nos destins, le Brexit n'y parviendra pas davantage", a-t-il insisté.
Londres souhaite aboutir en un temps record, avant la fin de l'année, et exclut toute prolongation de la transition au-delà de 2020. Un calendrier jugé très serré à Bruxelles.