Accusé de malversations financières, celui qui est à 64 ans PDG de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors, dont il a fait le numéro un mondial de l'automobile, est en passe d'être chassé du poste de président du conseil des deux groupes japonais qu'il a sortis du marasme. Mais surtout, du jour au lendemain, tout ce qui l'a fait aduler, traiter comme une sorte de génie du management, semble jeté aux orties. "Un dirigeant dynamique, une chute soudaine", "le choc d'une trahison", "un leadership fort, des pouvoirs surnaturels assombris", titrait mardi la presse japonaise.
Ghosn dénotait par rapport aux pratiques consensuelles de la plupart des patrons japonais. "Ce qu'il a fait est sans précédent dans l'histoire des entreprises au Japon", commente Kosuke Sato, économiste au Japan Research Institute. "Quand on a le profil de Ghosn et qu'on a fait ce qu'il a fait, on a par définition beaucoup plus d'ennemis", note Robert Dujarric, directeur des études asiatiques à l'Université Temple à Tokyo.
Dans les années 1990, un des fleurons de l'industrie automobile japonaise, Nissan, est au plus mal. En 1999, un Polytechnicien français né au Brésil et d'origine libanaise, arrive à Tokyo pour redresser la société. L'étranger, devenu PDG deux ans plus tard, brusque les habitudes, choque en licenciant massivement, sort la politique des achats de l'ornière de la fidélité indéfectible aux mêmes fournisseurs et introduit plus de marketing.
Lire aussi : La chute d'une idole: consternation après l'arrestation de Carlos Ghosn
Dès le début des années 2000, les résultats atteignent des records. Ghosn est dans tous les journaux et sur toutes les chaînes de télévision, ses lancements de nouveaux modèles sont de véritables one-man-show orchestrés dans d'immenses amphithéâtres, les piles de livres sur sa personne bordent les allées des grandes librairies. Près de vingt ans plus tard, un soir pluvieux de novembre, cueilli à l'arrivée de son jet privé à Tokyo, il est derrière les barreaux pour dissimulation d'une grande partie de ses revenus.
Pendant ce temps, celui qu'il a choisi l'an dernier comme successeur au poste de président exécutif de Nissan, Hiroto Saikawa, après un très bref rappel de ce qu'il a su accomplir, prononce devant une salle bondée de journalistes des mots très durs, exposant des heures durant son "côté obscur", un pouvoir trop concentré selon lui pendant des années entre ses mains.
Lire aussi : Le récit de la chute du tout-puissant patron Carlos Ghosn
Il a fait "des envieux"De plus Saikawa se refuse à céder à la tradition de la profonde courbette de contrition vis-à-vis des clients, des actionnaires, du public, par laquelle il aurait partagé un peu la responsabilité de l'opprobre jetée sur Nissan. Il annonce que le constructeur prévoit de proposer de démettre M. Ghosn de son poste de président du conseil d'administration. Quelques heures plus tard, Mitsubishi Motors emboîte le pas à son compatriote.
"Le monde japonais de l'entreprise a l'habitude des scandales ces dernières années (...) mais je n'ai jamais vu une chute aussi vertigineuse", a commenté sur son compte Twitter David Fickling, chroniqueur chez Bloomberg. Certains comparent le cas de Ghosn a celui de scandales de dissimulation de défauts ayant entraîné des décès comme chez le fabricants d'air bags Takata dont les patrons n'ont pas fini en prison. Ou bien avec celui d'un haut responsable britannique qui, tout juste embauché chez Olympus avait débusqué des cas de fraude et s'était alors fait rapidement licencier tandis que les cadres impliqués échappaient à la prison.
Le cas de Carlos Ghosn diffère par le fait qu'il concerne des accusations d'enrichissement personnel. Déjà, il "était beaucoup mieux payé que n'importe quel PDG japonais", note Dujarric, pour qui il a fait "des envieux". "Il y avait chez Ghosn un style de vie de PDG. Les grands patrons japonais sont assez discrets".