Jordi Sanchez et Jordi Cuixart, inculpés pour sédition par l'Audience nationale, un tribunal chargé notamment des affaires de sécurité nationale, ont été écroués à la prison de Soto del Real, non loin de Madrid, en début de soirée.
L'annonce de leur placement en détention a entraîné dans toute la Catalogne des concerts de casseroles, en signe de protestation, alors que l'Espagne s'enfonce chaque jour un peu plus dans une crise politique sans précédent depuis qu'elle a retrouvé la démocratie.
Cette crise oppose Madrid aux séparatistes au pouvoir dans cette région grande comme la Belgique et qui menacent de déclarer l'indépendance de manière unilatérale, sur le fondement d'un référendum d'autodétermination organisé le 1er octobre malgré son interdiction par la justice et qu'ils estiment avoir remporté avec 90% des voix et 43% de participation.
Jordi Cuixart et Jordi Sanchez sont soupçonnés d'avoir encouragé des centaines de personnes le 20 septembre à Barcelone à bloquer la sortie d'un bâtiment où des gardes civils menaient des perquisitions, en lien, justement, avec l'organisation du référendum.
Ces gardes civils y étaient restés bloqués jusqu'au milieu de la nuit.
Les associations de Jordi Cuixart et de Jordi Sanchez, Omnium Cultural et l'Assemblée nationale catalane (ANC), sont les fers de lance de l'indépendantisme en Catalogne, divisée presque à parts égales entre les partisans du maintien au sein de l'Espagne et ceux de la sécession.
Le porte-parole du gouvernement séparatiste catalan a qualifié lundi soir de "provocation de l'Etat espagnol" le placement en détention des deux hommes inculpés pour "sédition", appelant cependant leurs sympathisants à rester pacifiques.
"Nous avons à nouveau, tristement, des prisonniers politiques" en Espagne, a de son côté estimé le président indépendantiste catalan Carles Puigdemont dans un message posté en anglais sur son compte Twitter.
"Liberté aux Jordis", lisait-on sur l'affiche d'un des manifestants, environ 400, massés sur une place du centre de Barcelone vers minuit.
Ces détentions interviennent alors que Madrid a donné lundi un ultime délai de trois jours au président séparatiste pour qu'il revienne à la légalité.
Depuis une semaine, Carles Puigdemont laisse planer la possibilité d'une déclaration unilatérale d'indépendance, laissant entendre, sans le dire ouvertement, qu'il a "suspendu" cette déclaration en vue d'un dialogue avec Madrid.
"Nous espérons que dans les heures qui viennent (...) vous répondrez avec la clarté que tous les citoyens exigent", a écrit le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy à Carles Puigdemont, soulignant qu'il n'avait plus que trois jours, jusqu'à jeudi 10h00 (08h00 GMT), pour revenir dans le droit chemin.
Il répondait ainsi à une lettre du président catalan qui lui faisait part de son souhait de "dialoguer pour les deux prochains mois", tout en s'abstenant de préciser noir sur blanc, comme Madrid l'exige, si sa région avait ou non proclamé l'indépendance.
M. Puigdemont a laissé aussi planer le doute sur l'objet de ce dialogue, évoquant "le souhait du peuple catalan" de "commencer son chemin en tant que pays indépendant".
Bien que la société catalane soit profondément divisée, Carles Puigdemont estime avoir un "mandat" pour faire sécession en s'appuyant sur le référendum d'autodétermination du 1er octobre, qui a été boycotté par l'opposition.
S'il persiste, le gouvernement central pourrait suspendre totalement ou partiellement de l'autonomie de la Catalogne, du jamais vu en Espagne depuis la dictature de Francisco Franco (1939-1975).
Beaucoup craignent cependant qu'une telle mesure n'entraîne des troubles en Catalogne, une région de 7,5 millions d'habitants très attachée à sa langue et à sa culture.
M. Rajoy continue pour sa part à refuser tout dialogue tant que les séparatistes ne lèveront pas leur menace de proclamer unilatéralement l'indépendance.
Il ne veut pas entendre parler de médiation, et les Etats membres de l'Union européenne non plus, pour ne pas ouvrir la boîte de Pandore des sécessions sur le continent.
Les milieux d'affaires ont également appelé M. Puigdemont à faire marche arrière, des centaines d'entreprises ayant d'ores et déjà fui la région, qui compte pour 19% du PIB espagnol.
Le gouvernement espagnol a d'ailleurs annoncé lundi soir qu'il révisait à la baisse sa prévision de croissance pour 2018, à 2,3%, contre 2,6%, en raison principalement de l'"incertitude" liée à la crise en Catalogne, dans un document envoyé lundi à Bruxelles.
Mais le président séparatiste fait aussi l'objet de pressions dans son propre camp, où les plus radicaux l'encouragent à aller de l'avant et à proclamer la naissance de la "République de Catalogne".
D'autres manifestations sont prévues aujourd'hui mardi, tout au long de la journée.