Les autorités israéliennes affirment oeuvrer pour la sécurité publique en s'emparant d'animaux errants. Mais, pour les Palestiniens, l'objectif est autre: en multipliant confiscations et destructions, l'armée veut les pousser à quitter la Vallée du Jourdain, stratégique pour ses terres agricoles et ses réserves en eau.
Les bêtes seront vendues aux enchères si elles ne sont pas réclamées par leurs propriétaires, précise l'annonce en arabe du commandement militaire du territoire palestinien occupé par Israël depuis près de 50 ans.
Pour Arif Daraghmeh, chef du Conseil des villages d'Al-Maleh qui regroupe 26 hameaux de la Vallée du Jourdain, les propriétaires ne se sont pas manifestés parce que l'armée leur réclame des amendes allant jusqu'à 2.000 shekels, plus de 500 DH environ, par âne.
Le Cogat, organe du ministère de la Défense israélien en charge des Territoires occupés, explique lui qu'il s'agit de "mesures (appliquées) depuis des années pour appréhender les animaux qui errent sans surveillance et représentent un danger".
Sollicité par l'AFP, il explique que grâce à ces mesures, "les accidents de la route ont baissé de 90%". Quant aux amendes, "il ne s'agit que des dépenses liées à la capture et au gardiennage des animaux".
L'annonce des 40 ânes est inhabituelle, c'est la troisième en deux ans et avant cela, il n'y en avait jamais eu, assure M. Daraghmeh. Mais les saisies d'animaux, elles, ne sont pas nouvelles.
Zones de tirLes chèvres de Slimane Becharat, 60 ans, installé sous un abri de toile de jute, ont déjà été placées dans la "zone de quarantaine" israélienne installée le long de la frontière jordanienne il y a vingt ans.
Pour lui, comme pour M. Daraghmeh, ces saisies ont un but "hautement stratégique". "En confisquant animaux et matériel agricole et en détruisant maisons, abris pour animaux et autres, les Israéliens veulent faire pression sur les Palestiniens pour qu'ils quittent la Vallée du Jourdain", qui s'étend sur un tiers de la Cisjordanie, assure M. Daraghmeh.
Car, dit-il, "celui qui contrôle la Vallée, contrôle la frontière (avec la Jordanie), et les accès à l'eau et aux terres agricoles", deux éléments vitaux pour les Palestiniens du cru, qui vivent de culture et d'élevage.
C'est le cas de Youssef, qui surveille ses 80 vaches et veaux en gardant un oeil sur la route où passent des véhicules militaires israéliens. Derrière lui, une inscription en hébreu, arabe et anglais proclame sur un bloc de béton "Zone de tir, entrée interdite".
L'armée israélienne a transformé 18% de la Cisjordanie en zone d'entraînement, indique l'ONU. Aujourd'hui, 6.200 Palestiniens y vivent encore.
Dans le gouvernorat de Toubas, où vit Youssef, plus de 800 personnes sont restées avec leur bétail dans ces "zones de tir". L'armée peut, selon lui, l'expulser à tout moment de chez lui et saisir ses bovins.
"Les soldats embarquent les bêtes en nous disant que nous sommes dans une zone militaire fermée", raconte Youssef, en agitant son bâton pour déplacer ses animaux aux côtes saillantes. "Ou alors ils passent avec leurs chars et rien ne survit, ni un oeuf d'oiseau enfoui ni même un bébé gazelle couché au sol".
Youssef assure avoir déjà perdu des dizaines de bêtes, confisquées ou mortes de soif faute d'accès à un point d'eau.
Bataille pour l'eauCar, sur les bords du Jourdain, l'immense majorité des habitants de la zone dite "C" -qui couvre 90% de la Vallée- ne sont pas connectés à l'eau et doivent l'acheter à prix d'or, rapporte l'ONU.
Ces 90% sont "virtuellement interdits d'usage aux Palestiniens et réservés à l'armée israélienne ou placés sous la juridiction des colonies", où vivent 9.500 Israéliens, explique l'ONU.
La consommation d'eau dans certains endroits y "est de 20 litres par jour par personne seulement, soit un cinquième des recommandations de l'OMS", l'Organisation mondiale de la Santé, déplore l'ONU.
La zone dite "C" représente plus de 60% de la Cisjordanie. Depuis les accords israélo-palestiniens d'Oslo (1993), ce secteur est placé sous le contrôle unique de l'armée israélienne échappant ainsi à l'Autorité palestinienne.
Sur la colline rocailleuse qui monte derrière les animaux de Youssef, un tuyau détourne l'eau qu'il utilisait autrefois pour ses bêtes, "vers une colonie", affirme-t-il en ajoutant, amer: "avant, nous buvions l'eau de la source. Aujourd'hui, les colons s'y baignent".