Selon une étude de l'université d'Oxford qui avait fait sensation en 2013, 47% des emplois américains pourraient être remplacés par des robots intelligents d'ici une vingtaine d'années.
Plus mesurée, l'OCDE estimait l'an dernier que 14% des travailleurs "courent un risque élevé" que leurs tâches actuelles soient automatisées au cours des 15 prochaines années.
En France, selon une estimation citée en 2018 par un rapport du député LREM Cédric Villani, 10% des emplois seraient menacés de disparaître, et 50% seraient automatisés à plus de 50%.
Tout en reconnaissant que les transitions économiques ont "souvent des coûts sociaux et humains très élevés", le mathématicien restait confiant, soulignant que "l'automatisation des tâches et des métiers peut constituer une chance historique de désautomatisation du travail humain", pour peu qu'un effort massif de formation soit engagé.
La machine a jusqu'à présent surtout remplacé l'homme pour des tâches physiques et prédictives. Mais avec l'intelligence artificielle, ce sont les capacités cognitives de l'homme qui sont en concurrence avec la machine.
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"Le défi de l'intelligence artificielle, c'est de faire en sorte que le robot puisse prendre une décision dans un environnement" donné, expliquait Rachid Alami, directeur de recherche en robotique (LAAS-CNRS), lors d'un colloque en septembre.
Aucune magie derrière tout cela, mais le traitement de masses de données avec une gigantesque puissance de calcul, relève le chercheur. "Vous donnez à la machine 100.000 images de chats dans toutes les configurations possibles, et la machine saura trouver un chat", résume-t-il.
Le "deep learning" (apprentissage profond) façonne les robots du futur, capables d'effectuer des tâches complexes, mais aussi de formuler un diagnostic médical, donner le feu vert à un prêt immobilier, conduire une voiture autonome, etc.
Dès lors, presque tous les champs du travail sont concernés: logistique et transport, mais aussi services, ressources humaines, aide à la personne...
"L'intelligence artificielle ne touchera pas seulement les caissières", remarque Béatrice Clicq, secrétaire confédérale sur les questions d'égalité et de développement durable chez Force ouvrière. Elle cite l'exemple du secteur des ressources humaines, qui emploie déjà l'IA pour l'analyse des CV au risque, selon elle, "de recruter des clones".
La compagnie américaine Hirevue revendique un million d'entretiens d'embauche passés au crible de sa technique d'analyse faciale par intelligence artificielle. Les candidats interrogés par vidéo voient leurs intonations, vocabulaire et expressions du visage comparés par algorithme à une base de données compilées auprès de précédents candidats ayant réussi dans le poste.
Une méthode qui conduit à recruter des profils similaires au modèle, au risque d'évincer des postulants moins conventionnels mais talentueux, renforçant les discriminations déjà à l'oeuvre sur le marché de l'emploi, selon ses détracteurs.
Quel sera le delta entre suppressions et créations d'emplois? Nul ne se risque à un pronostic, mais "les populations concernées ne sont pas les mêmes", souligne Béatrice Clicq.
L'automatisation de nombreux métiers fait peser le risque d'une société "bipolarisée", divisée entre les plus chanceux, aux jobs très qualifiés, et les personnes à plus faible niveau d'études, cantonnées dans des boulots précarisés ou vivant des aides sociales.
Déjà, les plateformes numériques ont créé une catégorie de "nouveaux prolétaires" - titre d'un livre de la sociologue Sarah Abdelnour -, payés à la tâche, comme les livreurs à vélo ou les "travailleurs du clic". Ces derniers, rémunérés quelques centimes par micro-tâche informatique, constituent la main-d'oeuvre invisible indispensable à l'intelligence artificielle, en fournissant les millions de données nécessaires au "deep learning".
Derrière la voix suave d'Alexa, l'interface vocale d'Amazon, des centaines de milliers de conversations et de voix ont été "étiquetées" par ces micro-travailleurs.
Le premier impact de l'intelligence artificielle aura donc été de favoriser l'émergence d'une catégorie de travailleurs précarisés et dispersés aux quatre coins de la planète, ce qui rend leur organisation collective difficile.
Flore Barcellini, chercheuse au Conservatoire national des arts et métiers, pointe la "vision technocentrée" véhiculée par l'intelligence artificielle: c'est le technicien qui domine, et le travailleur doit se plier à la machine. "Il y a une injonction de modernisation à tout prix, sans prendre en compte la participation des travailleurs eux-mêmes", note-t-elle.
Le risque est que l'homme soit contraint de "suivre la machine". Déjà, les algorithmes imposent leur tempo au travailleur des entrepôts d'Amazon, ou au livreur de Deliveroo.
Dominique Turcq (auteur de "Travailler à l'ère post-digitale"), consultant passé par les entreprises de recrutement McKinsey et Manpower, estime que l'IA est "davantage une machine à augmenter qu'une machine à remplacer", ouvrant à l'homme de nouvelles possibilités. "La question est: que fait-on avec le temps gagné? On pourrait par exemple améliorer la qualité du travail".
Mais "attention à ne pas donner à l'IA un rôle d'expert", met-il en garde. Quelle autonomie aura le salarié si la machine dicte un choix qu'il conteste? Le médecin face au diagnostic de l'intelligence artificielle? L'employé de banque prêt à accorder un prêt qu'a refusé la machine?
Quelle part de "travail intelligent" restera-t-il à l'homme?
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Marie David et Cédric Sauviat, deux polytechniciens très critiques (auteurs de "Intelligence artificielle, la nouvelle barbarie") craignent qu'in fine, "la machine prive l'homme de la possibilité de s'accomplir" et le "rende doublement incompétent", en accomplissant des tâches qui devraient lui revenir et en lui imposant un standard étranger aux facultés humaines.
Selon eux, il est grand temps de placer l'intelligence artificielle "au coeur du débat d'idées contemporain, au même rang et peut-être même bientôt devant les problèmes du climat et de la biodiversité".
D'autant que la révolution de l'IA est largement en route et que nous y contribuons souvent à notre insu. Chacun de nous, par exemple, en se connectant à Facebook ou YouTube, fournit bénévolement des données qui viennent nourrir les algorithmes.