Signe de la gravité de la situation, il a tergiversé pendant des heures jeudi, annonçant une allocution, puis la repoussant deux fois, alors que beaucoup attendaient de savoir si un espoir de dialogue existait encore entre Madrid et Barcelone. Et pendant que Puigdemont s'enfermait dans l'historique bâtiment abritant le siège de l'exécutif catalan dans le quartier gothique de Barcelone, quelques milliers d'étudiants manifestaient pour la République catalane.
A 17h00 (15h00 GMT), il a annoncé qu'il renonçait à organiser des élections faute d'avoir eu "des garanties" qu'en contrepartie le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy n'appliquerait pas l'article 155 de la Constitution. Cet article permet une suspension de l'autonomie à laquelle la Catalogne tient tant, récupérée après la fin de la dictature de Francisco Franco (1939-1975).
Cette mise sous tutelle risque en outre de provoquer en Catalogne une spirale d'agitation-répression qui ferait fuir touristes et investisseurs. Puigdemont a finalement laissé au Parlement catalan, dominé par les séparatistes, le soin "de déterminer les conséquences de l'application contre la Catalogne de l'article 155".
Sur tous les tons, l'opposition l'a encore appelé dans la soirée à "revenir à la légalité et convoquer ces élections", à l'instar d'Inès Arrimadas, représentante du parti libéral Ciudadanos en Catalogne. Les indépendantistes semblent, eux, déterminés. Ils soutiennent que les résultats du référendum d'autodétermination interdit du 1er octobre - émaillé de violences policières -, constituent "un mandat" pour déclarer l'indépendance. Ces résultats, invérifiables, donnaient 90% de "oui", avec 43% de participation.
"Demain (vendredi) nous proposerons que la réponse à l'agression incarnée par l'article 155 soit de poursuivre le mandat du peuple de Catalogne, tel qu'il découle du référendum", a ainsi déclaré le député régional Lluis Corominas, de la coalition "Ensemble pour le oui" de partis indépendantistes de droite et de gauche.
Au total quelque 9.000 étudiants ont manifesté dans les rues de Barcelone, secouée depuis un mois par grèves et manifestations de Catalans pour ou contre l'indépendance. Certains ont même accusé Puigdemont d'être "un traître" alors que la (fausse) rumeur d'élections gagnait la foule. "Nous sommes impatients de voir la république catalane proclamée. Ca devrait déjà être fait!", s'exclamait Natalia Torres, 19 ans.
La Catalogne, dont les relations avec Madrid n'ont cessé de se dégrader depuis le début des années 2010, est au coeur de la plus grave crise politique qu'ait connue l'Espagne depuis le retour à la démocratie en 1977. Dans la capitale espagnole, quelques minutes après l'allocution de Puigdemont, la vice-présidente du gouvernement Soraya Saenz de Santamaria a commencé à défendre devant le Sénat l'application de l'article 155, pour "ouvrir une nouvelle étape" dans laquelle la loi serait "respectée". "Le voyage de l'indépendantisme, qui ne mène nulle part, doit s'achever, pour revenir au respect de la légalité", a-t-elle lancé.
Il s'agit de "préserver la reprise économique, l'emploi, la tranquillité des familles qui sont aujourd'hui en danger du fait de décisions capricieuses, unilatérales et illégales du gouvernement" catalan, a-t-elle dit. Les mesures envisagées par Madrid sont draconiennes: destitution de l'exécutif indépendantiste de la région, mise sous tutelle de sa police, de son Parlement et de ses médias publics, pour une période qui pourrait atteindre six mois, avant des élections régionales en 2018.
Rajoy espère que les Catalans, divisés à parts presque égales sur l'indépendance, tourneront le dos aux séparatistes, qui n'ont pas de soutiens internationaux et font face à la fuite d'entreprises - plus de 1.600 depuis le début du mois - par peur de l'instabilité.
Beaucoup redoutent, quoi qu'il arrive, des retombées très négatives pour la région et son économie qui contribue à hauteur de 19% au PIB espagnol. Les indépendantistes ont prévu de mobiliser - pacifiquement - leurs partisans dès vendredi par le biais des associations ANC et Omnium Cultural, dont les dirigeants avaient été placés en détention pour "sédition" à la mi-octobre.