Les actes de Donald Trump lors de l’assaut du Capitole le rendent-ils inéligible? Les neuf juges de la Cour suprême américaine vont tenter à partir de jeudi de résoudre cette question brûlante, sans prêter le flanc aux soupçons d’ingérence dans la campagne pour le scrutin présidentiel de novembre.
La haute cour avait été saisie d’un recours de l’ex-président et actuel archifavori des primaires républicaines contre la décision en décembre de la justice du Colorado le déclarant inéligible dans cet Etat de l’ouest du pays. Elle entendra jeudi les arguments des deux parties.
Les commentateurs juridiques ferraillent depuis des mois à la fois sur la validité et sur l’opportunité politique d’une telle procédure. Mais tous s’accordent à penser que la cour à majorité conservatrice, voudra à tout prix éviter de paraître favoriser un camp par rapport à l’autre.
À ce jour, sur la trentaine d’États dans lesquels des recours en inéligibilité ont été engagés contre Donald Trump, seuls deux ont abouti, dans le Colorado et le Maine (nord-est). Plusieurs États attendent néanmoins pour statuer définitivement que la Cour suprême se prononce.
Autour du 14ème amendement de la Constitution
Les avocats de Donald Trump qualifient la décision du Colorado d’«anomalie» et appellent la Cour suprême à la casser pour «protéger les droits de dizaines de millions d’Américains qui souhaitent voter pour le président Trump».
Pour cela, ils s’efforcent de démontrer que la présidence ne fait pas partie des fonctions visées par le 14ème amendement de la Constitution américaine, invoqué pour réclamer l’inéligibilité. Cet amendement, adopté en 1868, visait alors les partisans de la Confédération sudiste vaincue lors de la guerre de Sécession (1861-1865), et exclut de toute responsabilité publique quiconque se serait livré à des actes de «rébellion».
La justice du Colorado a considéré que les actes de Donald Trump le 6 janvier 2021 relevaient bien du 14ème amendement. Ce jour-là, des centaines de partisans du président sortant, chauffés à blanc par ses déclarations sur de prétendues fraudes électorales, avaient pris d’assaut le Capitole pour tenter d’y empêcher la certification de la victoire de son adversaire démocrate Joe Biden.
Les avocats de Donald Trump affirment pour leur part que les événements du 6 janvier 2021 ne constituaient pas une rébellion au motif qu’ils «ne comportaient pas de tentative organisée de renverser les institutions américaines ou de leur résister» et que leur client n’y était nullement impliqué.
«Une instabilité politique jamais vue»
Le caractère largement inédit du dossier complique encore tout pronostic, mais beaucoup d’experts prêtent aux juges de la Cour suprême la tentation de se défausser d’une affaire «politiquement très sensible».
Dans quelque sens que penchera sa décision, «elle ne pourra pas échapper à la critique de s’ingérer dans l’élection», indique à l’AFP Steven Schwinn, professeur de droit constitutionnel à l’Université de l’Illinois à Chicago. Selon lui, «l’échappatoire la plus probable pour la Cour serait d’affirmer que seul le Congrès est habilité à retirer un candidat du bulletin pour l’élection présidentielle».
Un argument contesté par des juristes, soulignant qu’aucune intervention du Congrès n’est requise pour appliquer d’autres conditions d’éligibilité, comme celles liées à l’âge des candidats ou à leur lieu de naissance. Dans un mémoire adressé à la Cour, Edward Foley, Benjamin Ginsberg et Richard Hasen, trois juristes renommés d’horizons politiques différents, l’exhortent à statuer sur le fond et non pas sur des questions de forme, afin de trancher définitivement avant le jour du vote, le 5 novembre.
Faute de quoi, «avec un pays plus polarisé que jamais dans l’histoire récente», préviennent-ils, elle «prendrait le risque d’une instabilité politique jamais vue depuis la guerre de Sécession».