Selon une récente enquête Ipsos-Sopra/Le Monde, 6 à 7% des sympathisants de gauche se déclarent absolument certains d'aller voter pour choisir le candidat de la droite.
Le phénomène qui nourrit les débats politiques depuis plusieurs jours inquiète suffisamment M. Sarkozy pour qu'il accuse son principal adversaire, Alain Juppé, de "déloyauté" pour avoir lancé un appel large au rassemblement incluant les "déçus du Hollandisme".
Sa personnalité clivante, son alignement de plus en plus net sur les thèmes de l'extrême droite avec ses références répétées à "l'identité" menacée de la France ou aux ancêtres "gaulois", les doutes sur sa probité suscités par ses ennuis judiciaires mobilisent contre lui ceux qui s'étaient réjouis en 2012 de la victoire du socialiste François Hollande, le "président normal".
Cinq ans plus tard, face au bilan social très contesté marqué par un chômage au plus haut, beaucoup se résignent par avance à une défaite de leur camp dès le premier tour de la présidentielle, le 23 avril 2017. A défaut de mieux, leur espoir reste d'éviter un duel au second tour entre "Sarko" et la candidate d'extrême droite Marine Le Pen.
"Tout le monde a anticipé une lourde défaite de la gauche", analyse le politologue Gérard Grunberg.
"Ma motivation essentielle reste de faire barrage à Nicolas Sarkozy. Je suis pragmatique, il faut éliminer les gens dangereux et il en fait partie", explique à l'AFP Eric. Ce professeur de sport dans un lycée de banlieue envisage de faire violence à ses convictions de gauche pour aller voter Alain Juppé mais préfère ne pas donner son nom par crainte des réactions hostiles de son entourage.
Mathilde, 18 ans, se fait traiter de "folle" par ses amis étudiants depuis qu'elle leur a dit qu'elle comptait "voter Juppé" à la primaire.
Laure, employée d'une agence de voyage, hésite encore. "J'ai été adhérente au Parti socialiste durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et j'ai peur que l'on puisse me reconnaître", dit-elle.
Pour voter, il faut payer deux euros et signer une déclaration affirmant sur l'honneur partager les "valeurs républicaines de la droite et du centre". De quoi refroidir certains.
Pas le journaliste Daniel Schneiderman, chroniqueur en ligne du site "Arrêt sur image". "La droite et le centre ont-ils +les valeurs républicaines+ en commun avec la gauche? Ou bien disposent-ils de leur propre stock de valeurs républicaines de droite et du centre, distinctes de celles de la gauche? Et dans ce cas, par hasard, pourrait-on savoir lesquelles", ironise un de ses éditoriaux.
La référence à la "République" et à ses "valeurs" se brandit avec autant de vigueur à gauche qu'à droite, particulièrement depuis la vague d'attentats jihadistes qui ont ébranlé la France en 2015 et 2016.
En 2002, la gauche avait été éliminée dès le premier tour de la présidentielle. Des millions d'électeurs amers mais déterminés à faire barrage à Jean-Marie Le Pen, le père de Marine, avaient voté pour le président sortant et champion de la droite Jacques Chirac, élu dans un fauteuil avec 82% des voix.
Cette fois-ci, la primaire organisée pour la première fois à droite par le parti Les Républicains et ses alliés centristes change la donne.
Nicolas Sarkozy, 61 ans, peut compter sur le noyau dur des adhérents du parti, soutien qui pourrait être insuffisant si le scrutin mobilise plus large. Il affronte six concurrents et part devancé par Alain Juppé, son ancien ministre des Affaires étrangères qui, à 71 ans, rassure grâce à son image d'homme d'expérience à la personnalité pondérée ceux-là même que l'ancien président inquiète.
L'allergie à Nicolas Sarkozy est "alimentée par son discours extrême, aujourd'hui plus à droite que le Front national", selon Gérard Grunberg. Selon lui, la popularité d'Alain Juppé se fonde aussi "sur le rejet d'une polarisation excessive entre gauche et droite, et sur la demande de consensus autour d'une personnalité rassembleuse" que n'incarnent ni Nicolas Sarkozy ni son successeur à l'Elysée, François Hollande.