Haïti: les gangs armés étendent leur emprise, la transition se fait attendre

Une femme portant un enfant s'enfuit dans une rue en proie aux violences à Port-au-Prince, Haïti, le 20 mars 2024.. AFP or licensors

Les gangs armés étendent encore leur emprise sur la capitale Port-au-Prince, a averti jeudi la coordinatrice spéciale de l’ONU en Haïti, au moment où les négociations en vue de former des autorités de transition à la tête du pays semblent en passe d’aboutir.

Le 22/03/2024 à 07h59

«Au cours des derniers jours, les gangs ont avancé dans de nouvelles zones de la capitale», a déclaré jeudi Ulrika Richardson, coordinatrice humanitaire de l’ONU en Haïti, décrivant une situation «extrêmement alarmante». Le quotidien des habitants est fait de «barrages routiers, coups de feu, et beaucoup de tension dans les rues», a-t-elle décrit, ajoutant qu’«un très grand nombre de personnes ont dû fuir leur quartier» à mesure que les gangs avancent.

Ces bandes armées contrôlaient déjà en 2023 80% de Port-au-Prince, selon l’ONU, et sont accusées de nombreuses exactions: meurtres, viols, pillages et enlèvements contre rançon. Après une matinée relativement calme, des tirs ont résonné jeudi après-midi dans le centre-ville de la capitale et en banlieue, à Pétion-Ville, selon des habitants interrogés par l’AFP.

La police nationale haïtienne (PNH) a annoncé dans la soirée jeudi la mort du chef de gang «Ti Grèg», qui s’était évadé de prison début mars. Patron du gang Delmas 95, Ernst Julmé «a été mortellement blessé lors d’un affrontement avec des unités de la PNH à Delmas», près de la capitale, a indiqué la police sur sa page Facebook.

Évacuation

Le début de semaine avait notamment été marqué par des affrontements à Pétion-Ville, banlieue aisée de Port-au-Prince. Des hommes armés ont tenté mardi soir et mercredi de prendre le contrôle de plusieurs quartiers de cette commune, où quatorze corps sans vie ont été retrouvés lundi.

Haïti, qui vivait déjà une profonde crise politique et sécuritaire, est en proie à un regain de violences depuis le début du mois, lorsque plusieurs gangs ont uni leurs forces pour attaquer des lieux stratégiques de Port-au-Prince, disant vouloir renverser le Premier ministre Ariel Henry.

Très contesté, ce dernier n’a pas pu regagner son pays après un déplacement au Kenya au début du mois. Il a accepté de démissionner le 11 mars. Le même jour, plusieurs pays et organisations comme la Communauté des Caraïbes (Caricom) s’étaient réunis d’urgence en Jamaïque. Un futur conseil présidentiel de transition, qui doit notamment être composé de représentants de partis politiques haïtiens, avait été annoncé à l’issue de la réunion.

Après plusieurs jours de négociations tumultueuses, chaque groupe s’est accordé jeudi sur un choix de représentant, et le parti de gauche Pitit Desalin, qui avait initialement renoncé à se faire représenter, est revenu sur sa décision, selon un correspondant de l’AFP. Aucune annonce formelle n’a toutefois été effectuée.

Crise humanitaire

Ce conseil doit tenter de remettre le pays, dont des pans entiers sont aux mains des gangs armés, sur le chemin de la stabilité. Le secrétaire général de l’ONU a salué le fait que «les parties prenantes haïtiennes aient toutes choisi leur représentant», selon son porte-parole adjoint Farhan Haq.

Haïti reste pour l’heure sans président ni parlement: le dernier chef d’État, Jovenel Moïse, a été assassiné en 2021. Et le pays n’a connu aucune élection depuis 2016. Ariel Henry, nommé par Jovenel Moïse, aurait dû quitter ses fonctions début février.

En attendant, la capitale est confrontée à une grave crise humanitaire. «En raison de l’avancée des gangs, 5,5 millions de personnes sur une population de 11,4», soit environ la moitié, a désormais besoin d’aide humanitaire, a déclaré la coordinatrice de l’ONU pour le pays. Or, l’acheminement de cette aide se fait difficile, l’aéroport de Port-au-Prince restant fermé, et une partie du port «étant toujours attaquée», a-t-elle précisé.

«Moins de la moitié des établissements de santé de Port-au-Prince fonctionnent normalement», a par ailleurs indiqué jeudi le chef de l’OMS, évoquant des pénuries de médicaments et de produits sanguins. Et «l’épidémie de choléra (...) pourrait reprendre si la crise se poursuit», a-t-il mis en garde. Le pays a connu fin 2022 un regain épidémique de choléra, qui avait fait plus de 10.000 morts entre 2010 et 2019 après avoir été introduite par des Casques bleus.

Par Le360 (avec AFP)
Le 22/03/2024 à 07h59