La livre turque progressait d'environ 10% lundi soir après l’annonce de ces mesures, faisant plus qu'effacer une perte de 10% subie auparavant au cours de la journée.
Les fluctuations avaient obligé à suspendre brièvement les cotations sur le marché dans l'après-midi, pour la deuxième fois depuis vendredi.
La monnaie turque n'avait jusque-là cessé de s'enfoncer à des niveaux historiquement bas, à plus de 17 livres pour un billet vert, soit une chute de plus de 45% depuis le 1er novembre. Après le rebond, dans la soirée elle affichait encore une baisse d'un tiers de sa valeur par rapport au dollar depuis début novembre.
Recep Tayyip Erdogan avait jusque-là au contraire poussé la banque centrale à réduire considérablement les coûts d'emprunt malgré le taux d'inflation annuel de plus de 20%.
L'homme fort de la Turquie avait même semblé redoubler d’efforts dans cette approche au cours du week-end, en affirmant que sa foi islamique l'empêchait de soutenir des hausses de taux.
"En tant que musulman, je vais continuer à faire ce que notre religion nous dit", avait-il affirmé à la télévision. Les enseignements islamiques interdisent aux musulmans de recevoir ou de facturer des intérêts sur l'argent prêté ou emprunté.
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Mais lundi, les analystes ont estimé qu'il a cédé à la pression du marché et augmenté les taux d’intérêt de manière indirecte, car il a annoncé une série de mesures complexes pour venir au secours de la monnaie nationale.
Ces mesures comprennent un nouveau titre de créance qui vise à compenser la dépréciation de la valeur des dépôts bancaires causée par celle de la lire.
Erdogan n'a pas expliqué comment cet instrument fonctionnerait. Mais l'ancien conseiller du Trésor turc, Mahfi Egilmez, a qualifiée la mesure de "hausse indirecte des taux d’intérêt".
Si le taux de change varie de 40% et les taux d’intérêt de 14%, 26 points de pourcentage seront versés en compensation, a-t-il tenté d'expliquer sur Twitter.
L'économiste turc Refet Gurkaynak a qualifié cette mesure de "hausse épique des taux d’intérêt".
La Banque centrale de Turquie avait procédé à quatre réductions successives, pour abaisser son taux directeur de 19 % à 14 %, afin de soutenir l'économie, malgré les risques inflationistes.
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Des diplomates estiment que Erdogan table sur la croissance économique à tout prix pour l'aider à prolonger sa présence au pouvoir à l'occasion de l'élection prévue pour mi-2023.
Le président turc avait lancé le mois dernier une "guerre économique d'indépendance", s'attaquant à la dépendance de la Turquie envers les investissements étrangers et les fluctuations du coût des importations telles que le pétrole et le gaz naturel.
Mais sa politique a rencontré la résistance croissante de dirigeants d’entreprises influents.
Face à l'entêtement du chef de l'Etat à prôner l'abaissement des taux d'intérêt, l'organisation patronale Tüsiad, qui revendique 85% des entreprises exportatrices de Turquie, l'avait appelé au cours du week-end à rectifier sa politique monétaire, via une réprimande inhabituellement ferme.
"Les choix politiques mis en œuvre ici ne créent pas seulement de nouveaux problèmes économiques pour les entreprises, mais pour tous nos citoyens", avait déclaré le lobby des grandes entreprises. "Il est urgent que nous évaluions les dommages qui ont été causés à l'économie, et que nous revenions rapidement à la mise en œuvre des principes économiques établis, dans le cadre d’une économie de marché libre".
Erdogan a répliqué à Tüsiad directement après avoir annoncé ses nouvelles mesures, à l'issue d'une réunion hebdomadaire du cabinet.
"Vous complotez pour renverser le gouvernement", leur a-t-il reproché. "Vous rêvez. Vous devrez attendre jusqu’en juin 2023", leur a-t-il lancé.