Après trois jours de débats et des heures de pourparlers vendredi à huis clos pour trouver un consensus sur le texte, les députés ont approuvé cette loi sur "la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent" par 174 députés pour, 10 abstentions et aucun vote contre.
"Avec fierté, nous avons vécu ce moment historique (...) cette loi va rassurer le citoyen", a déclaré le président de l'Assemblée, Mohamed Ennaceur, devant les élus qui venaient de chanter l'hymne national dans l'hémicycle.
Ce vote est intervenu dans un contexte de menace grandissante après les attaques en juin à Sousse (38 touristes tués) et en mars au musée du Bardo à Tunis (22 morts, dont 21 touristes), revendiquées par le groupe État islamique.
Ce texte remplace une loi antiterroriste de 2003, adoptée sous la dictature de Zine El Abidine Ben Ali et largement utilisée, selon les défenseurs des droits de l'Homme, pour réprimer l'opposition, en particulier le parti islamiste Ennahda alors interdit et aujourd'hui l'une des principales forces politiques tunisiennes.
“Réformes rétrogrades”
Les ONG, qui espéraient que la nouvelle législation serait plus respectueuse de l'état de droit, ont exprimé leur déception et de vives critiques.
Ainsi, la peine de mort, absente du texte de 2003, a été introduite pour une série de crimes "terroristes". La peine capitale existait déjà dans le code pénal mais la Tunisie observe un moratoire sur les exécutions depuis 1991.Les ONG ont aussi dénoncé le délai de garde-à-vue fixé à 15 jours pendant lesquels le suspect ne peut consulter un avocat, ou encore le recours facilité aux écoutes téléphoniques.
"Cette loi représente un danger réel pour les droits et les libertés en Tunisie, de nombreuses entorses aux normes internationales des droits de l’Homme ont été incorporées dans ce texte et (elles) représentent un recul par rapport à la loi de 2003", a regretté Amna Guellali, représentante de Human Rights Watch à Tunis.
"Ce projet de loi est un mauvais signal qu'on donne au monde libre qui nous regarde. On ne combat pas le terrorisme avec des réformes rétrogrades!", a martelé de son côté l'avocat pénaliste Ghazi Mrabet.Enfin l'opposition de gauche a jugé que le texte, et sa définition trop vague du "terrorisme", pourrait permettre d'y inclure des mouvements de contestations sans lien avec des mouvements dits terroristes.
Le chef de l'Etat, Béji Caïd Essebsi, a appelé dans la matinée la Tunisie à s'unir face à la menace jihadiste. S'exprimant à l'antenne de la radio Mosaïque FM à la veille de la fête de la République, il a souligné une nouvelle fois que le pays "est en guerre contre le terrorisme".
Projets d'attentats déjoués
"L'armée, la Garde nationale, les forces de sécurité accomplissent leur devoir et le peuple tunisien doit être solidaire", a-t-il dit, "le pays doit sortir de cette crise, tout le monde doit s'unir".
Signe de la tension régnant en Tunisie, le ministère de l'Intérieur a annoncé dans la matinée avoir déjoué des projets d'attentats dans le nord du pays, dans la région de Bizerte, arrêtant 16 suspects, en tuant un autre et saisissant des armes automatiques ainsi que des explosifs.
La Tunisie fait figure de modèle de transition démocratique réussie dans le monde arabe depuis sa révolution en janvier 2011, mais elle est confrontée à une menace jihadiste grandissante et à des tensions socio-économiques toujours plus aiguës, si bien que les autorités craignent de voir le pays basculer dans l'instabilité.
Le secteur stratégique du tourisme a subi de lourdes pertes depuis les attaques de Sousse et du Bardo, et le gouvernement a multiplié les annonces, avec notamment la mise en place de l'état d'urgence, pour tenter de rassurer les voyageurs et ses partenaires étrangers.