Le Soudan a plongé dans le chaos il y a une semaine, otage des combats entre le général Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée et dirigeant de facto du Soudan depuis le putsch de 2021, et son numéro deux Mohamed Hamdane Daglo, chef des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). Mais le conflit peut vite faire tache d’huile, estiment les experts consultés par l’AFP.
Entre 10.000 et 20.000 réfugiés
Selon le Haut- Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), entre 10.000 et 20.000 personnes ont fui les combats pour le Tchad voisin, qui accueille déjà plus de 400.000 réfugiés soudanais, et «les nouveaux arrivants font peser une pression supplémentaire sur les services publics et les ressources du pays qui sont déjà surchargés», ajoute le HCR.
Fin février, l’ONU affirmait déjà que plus du tiers de la population au Soudan aurait besoin d’aide humanitaire en 2023, en raison de la faim et de l’augmentation du nombre de déplacés.
«Je m’attends vraiment à un exode massif de millions de civils au premier cessez-le-feu», affirme à l’AFP Cameron Hudson, analyste du Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS) à Washington.
Extension géographique des combats
Les combats, entamés le 15 avril, s’étendent de jour en jour. De nouveaux quartiers de Khartoum et de nouvelles régions du pays, notamment dans le Darfour, sont aspirés dans un conflit qui couve depuis des mois.
«Des millions de civils sont pris dans les combats et manquent rapidement de produits de première nécessité», écrit l’ONG International Crisis Group. Selon elle, «le conflit pourrait rapidement glisser vers une véritable guerre durable», contaminant les périphéries du Soudan, déjà exsangue, puis certains de ses voisins.
Pour Cameron Hudson, «le défi est que le conflit, parce qu’il s’étend dans chaque coin du pays, touche la frontière avec le Tchad, la République centrafricaine, le Soudan du Sud et l’Ethiopie. C’est une énorme inquiétude».
Spirale infernale
La société soudanaise, extrêmement fragmentée, ne saurait rester spectatrice. «Si le conflit continue, la situation va devenir plus compliquée», pronostique le chercheur britannique Alex de Waal, dans un mémo envoyé à l’AFP.
«Chaque partie est elle-même une coalition de différents groupes» qui «attireront ou coopteront d’autres groupes plus petits», précise-t-il, évoquant l’émergence possible de «facteurs ethniques». Les groupes islamistes sont aussi impliqués.
Le Soufan Center, basé à New-York, constate «l’ingérence d’Etats étrangers, de seigneurs de guerre, de milices armées et d’une variété d’autres acteurs violents non-étatiques». Selon lui, «un échec des commandants à tenir leurs soldats pourrait faire perdurer les violences». Un risque particulièrement grand côté paramilitaires, ne cessent de répéter les experts.
La région en danger
Les puissances régionales appellent toutes, officiellement, à cesser les combats mais les experts convergent pour affirmer que l’Égypte soutient Burhane et les Émirats arabes unis Hemedti.
Selon Cameron Hudson, les deux généraux tentent de puiser armes et renforts chez leurs voisins. Le groupe paramilitaire russe Wagner, dont l’empreinte militaire est faible au Soudan mais qui exploite ses mines d’or, est aussi discrètement à la manœuvre. «Il y a du travail de propagande» sur les réseaux sociaux mais aussi «de l’organisation militaire et du renseignement» pour Hemedti, assure le chercheur.
«Si le Soudan entre dans un tunnel sombre, tout le monde en paiera le prix»
— Abdulkhaleq Abdulla, professeur de sciences politiques émirati.
La Libye, la Centrafique, le Tchad et l’Ethiopie notamment sont eux aussi susceptibles de jouer un rôle politique voire militaire. Le conflit impliquerait alors des acteurs fournissant «de l’argent, des armes voire leurs propres troupes ou affidés», craint Alex de Waal. « La plupart de ces mêmes acteurs extérieurs qui pêchent en eaux troubles participeront aux efforts de médiation. »
Impuissance de la communauté internationale
«L’instabilité du Soudan est une préoccupation pour tout le monde, en particulier pour les pays voisins, la Corne de l’Afrique, le détroit de Bab al-Mandeb et tout le voisinage géographique», résume Abdulkhaleq Abdulla, professeur de sciences politiques émirati. «Si le Soudan entre dans un tunnel sombre, tout le monde en paiera le prix», estime-t-il.
La communauté internationale a bien tenté d’agir: depuis début avril, des négociateurs de l’ONU, de l’Union Africaine, de capitales occidentales et du Golfe notamment poussaient les deux hommes à signer un accord-cadre de retour à un pouvoir civil. En vain. De nombreux experts soulignent combien les négociations ces dernières années ont renforcé les protagonistes dans leurs positions.
Désormais, «la communauté internationale et les puissances majeures appellent les généraux pour demander un cessez-le-feu et n’obtiennent rien», constate Cameron Hudson. Et une issue militaire rapide semble improbable. Si l’armée de Burhane apparaît militairement plus solide, les hommes de Hemedti excellent dans la guérilla urbaine. Les ingrédients sont là pour un conflit durable.