Ata Ullah est le visage le plus connu de l'armée du salut des Rohingyas de l'Arakan (ARSA), un mouvement rebelle qui a attaqué des dizaines de poste-frontières birmans, déclenchant une répression de l'armée qui a poussé quelque 420.000 Rohingyas à fuir vers le Bangladesh.
"Il est très charismatique", indique à l'AFP Richard Horsey, analyste indépendant basé en Birmanie. "Il parle d'une manière qui fait écho aux doléances de cette communauté".
Il s'est fait connaître en octobre dernier en revendiquant dans des vidéos des opérations armées dans l'Etat de Rakhine, dans le nord-ouest de la Birmanie.
Plusieurs sources proches du leader ont indiqué à l'AFP que Ullah, âgé d'une petite trentaine d'années, dirigeait un réseau de groupuscules peu entraînés et mal équipés pour le combat.
Dans les vidéos, Ullah, flanqué d'hommes armés et masqués, dénonce les crimes commis par le gouvernement birman contre les Rohingyas et promet de libérer la communauté d'une "oppression inhumaine".
La grande majorité des Rohingyas, apatride depuis des décennies, vit dans des conditions très difficiles dans des ghettos en Birmanie ou des camps de réfugiés bondés au Bangladesh.
Ullah toutefois a connu un sort différent: né à Karachi au Pakistan, il a grandi dans une famille de la classe moyenne.
Son père a étudié dans la prestigieuse madrasa Darul-Uloom avant de partir enseigner en Arabie saoudite, à Ryad, puis Taif, selon un proche.
Le jeune Ullah y a appris à réciter le coran. Il a été repéré par de riches Saoudiens qui l'ont recruté pour l'enseigner à leurs enfants. Il a rapidement été admis dans leur cercle intime, participant à de somptueuses fêtes et parties de chasse.
"Les Saoudiens l'aimaient beaucoup et le traitaient comme l'un des leurs", relate un proche de Ullah.
Ullah abandonna cette vie confortable après des émeutes en Etat Rakhine en 2012, qui provoquèrent le déplacement de plus de 140.000 personnes, pour la plupart rohingyas. Il quitta l'Arabie pour se battre en Birmanie.
Mais d'abord, il retourna au Pakistan, des millions de dollars en poche, provenant apparemment de sympathisants de la cause, Saoudiens ou Rohingyas d'Arabie. Ullah venait y chercher armes, combattants et formation auprès de groupes jihadistes locaux, selon des membres de ces derniers l'ayant rencontré à l'époque.
Il eut des contacts avec des personnes proches des talibans afghans et pakistanais et avec des groupes séparatistes du Cachemire comme le Lashkar-e-Taiba. En vain.
"En public, ces organisations avaient exprimé leur solidarité avec les musulmans de Birmanie et appelé au djihad mais ils l'ont accueilli froidement", résume une source qui travaillait à l'époque avec Ullah. La plupart des insurgés pakistanais l'ont snobé, d'autres ont volé l'argent qu'il leur avait remis en échange d'armes.
"Les appels au djihad en Birmanie de la part de différents groupes ne sont qu'une quête de publicité et un moyen de s'attirer la sympathie des musulmans", selon l'expert sécuritaire pakistanais Talat Masood.
Selon des sources insurgées ayant eu accès à Ullah au Pakistan en 2012, le jeune leader quitta alors le pays désabusé et très méfiant envers les islamistes. Il préféra adopter dès lors une ligne nationaliste.
Quant aux autres groupes rebelles comme le Rohingya Solidarity Organization (RSO), quasi-inactif, ils inspiraient du dégoût à Ullah, selon une source ayant assisté à des rencontres entre eux.
Suite à la récente vague de violence, les mêmes jihadistes qui avaient ignoré Ullah à l'époque ont tenté de renouer le contact. Mais Ullah a décliné ces offres, bien que les rebelles de l'ARSA manquent cruellement d'armes et de médicaments.
Il redoute "que sa mission ne soit dévoyée s'il implique d'autres groupes religieux", explique un proche en contact avec un camp d'entraînement de Ullah au Bangladesh.
Noor Hussain Burmi, représentant du RSO au Pakistan ayant rencontré Ullah en 2012, estime que sa vanité et son inconséquence ont aggravé la condition des Rohingyas en Birmanie.
"Il ne veut que personne d'autre ne mette les pieds au Rakhine car il pense que cela lui ferait de l'ombre", a-t-il dit à l'AFP. Pour les analystes, la stratégie de Ullah a en fait été totalement contre-productive.
"Il paraît très difficile d'accorder de la crédibilité à l'ARSA quand elle prétend essayer de défendre les droits du peuple", souligne M. Horsey.
"Cela a probablement provoqué la pire crise de son histoire pour cette population", souligne-t-il.