Après 72 heures de crise en pleine Méditerranée, l'Aquarius a finalement commencé sa longue traversée mardi soir vers l'Espagne, qui a accepté de lui ouvrir le port de Valence, où il devrait arriver en fin de semaine avec 629 migrants à son bord.
Les déclarations du président français Emmanuel Macron dénonçant "la part de cynisme et d'irresponsabilité du gouvernement italien" après son refus d'accueillir l'Aquarius ont été très mal reçues à Rome: homme fort du gouvernement italien et patron de la Ligue (extrême droite), le ministre de l'Intérieur Matteo Salvini a réclamé des excuses de la France.
Faute de quoi, a-t-il menacé, il vaudra mieux annuler la rencontre prévue vendredi à Paris entre Emmanuel Macron et le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte: "Si les excuses officielles n'arrivent pas, le Premier ministre Conte fera une bonne chose en n'allant pas en France".
Presque au même moment, la numéro deux de l'ambassade de France à Rome Claire Anne Raulin était reçue au ministère italien des Affaires étrangères. C'est la deuxième convocation de ce genre, après un incident fin mars déjà lié à la crise migratoire, qui envenime régulièrement les relations entre les deux pays.
Le ministre des Affaires étrangères Enzo Moavero Milanesi, qui a personnellement reçu Mme Raulin, a souligné devant elle le caractère "inacceptable" des déclarations faites à Paris après le refus italien d'accueillir l'Aquarius. Giuseppe Conte avait dès mardi réagi aux propos de M. Macron: "l'Italie ne peut accepter de leçons hypocrites de pays ayant préféré détourner la tête en matière d'immigration"
Tons injustifiables
"De telles déclarations compromettent les relations entre l'Italie et la France" et "les tons utilisés sont injustifiables", a renchéri mercredi M. Moavero, selon un communiqué de la Farnesina.
La France doit passer "de la parole aux actes" après s'être engagée à accueillir des migrants en provenance de la péninsule, ce qu'elle n'a toujours pas fait, a affirmé de son côté M. Salvini.
Face à ces tensions, Paris a tenté de calmer le jeu: la France est "attachée au dialogue et à la coopération" avec l'Italie sur la gestion de la crise migratoire, a affirmé mercredi un porte-parole du ministère des Affaires étrangères. "Nous sommes parfaitement conscients de la charge que la pression migratoire fait peser sur l'Italie et des efforts que ce pays fournit. Aucun des propos tenus par les autorités françaises n'a bien entendu remis cela en cause".
L'escalade entre les deux pays intervient avant un Conseil européen crucial les 28 et 29 juin, qui doit porter en particulier sur la question des migrants, et que devait justement préparer MM. Macron et Conte vendredi à Paris.
M. Conte est toujours officiellement attendu à Paris, mais "des jours de rapprochement et de super travail des ambassades sont maintenant en danger", a averti mercredi le quotidien La Repubblica, proche de la gauche.
Parallèlement à la dégradation des rapports avec Paris s'esquisse un nouvel "axe dans la lutte contre l'immigration illégale" entre Rome, Berlin et Vienne, officialisé mercredi par le chancelier autrichien Sebastian Kurz: "je suis heureux de la bonne coopération que nous voulons bâtir entre Rome, Vienne et Berlin" dans ce domaine, a-t-il affirmé mercredi à Berlin.
L'Italie accuse régulièrement ses partenaires européens, à commencer par la France, de la laisser seule face à la crise migratoire et aux 700.000 migrants qui ont débarqué sur ses côtes depuis 2013.
"La France repousse quotidiennement les migrants à Vintimille", sur la frontière franco-italienne, a ainsi rappelé sur Facebook le vice-Premier ministre italien Luigi Di Maio, chef de file du Mouvement Cinq Etoiles (M5S, antisystème).
Les autorités italiennes sont d'autant plus amères que les arrivées sont loin de se tarir, en dépit de la fermeté affichée par M. Salvini face à l'Aquarius.
Mercredi, un navire italien transportant plus de 900 migrants est arrivé dans le port de Catane, en Sicile, au lendemain du départ pour l'Espagne de l'Aquarius.
"Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'ONG que les départs s'arrêtent. On l'a vu ces derniers jours, les gens fuient de la Libye", a averti à Catane une porte-parole de l'ONG SOS Méditerranée, Mathilde Auvillain.