"Les gens ont vraiment peur", explique le jeune Raja Miah, assis dans une pièce minuscule tandis qu'à côté, des enfants étudient le Coran dans cette modeste mosquée proche des Ramblas, l'avenue endeuillée par l'attentat où 13 personnes ont trouvé la mort jeudi.
"Dès qu'ils sortent, les gens ont peur. Ils sont peu nombreux à venir prier. D'habitude nous sommes une quarantaine, mais hier soir, nous étions quinze et ce matin, dix", expliquait samedi le jeune religieux de 23 ans, arrivé il y a neuf ans dans la capitale catalane.
La communauté musulmane du pays avait la sensation jusqu'à présent de vivre dans une petite oasis d'entente.
En Espagne, les partis d'extrême droite sont isolés. La société accepte bien la différence. Seuls 4% des citoyens estiment que l'immigration constitue un problème, selon les études d'opinion du Centre de recherches sociologiques (CIS).
Après la vague d'attentats du groupe Etat islamique (EI) en Europe, le nombre d'actes islamophobes a tout de même flambé, passant de 48 à 534 entre 2014 et 2015, selon la Plateforme citoyenne contre l'islamophobie.
Mais au Raval, où la moitié de la population est immigrée, avec de grandes communautés pakistanaise, bangladaise et marocaine, on vivait plutôt bien.
"Les Espagnols nous traitent bien, ils nous aident, ils nous font nous sentir chez nous", explique Raja.
Après les attentats cependant un silence un peu plus lourd qu'à l'accoutumée régnait dans les rues habituellement grouillantes du quartier populaire et densément peuplé.
Quelques minutes après l'attentat de Barcelone, l'imam a senti que quelque chose avait changé.
Alors qu'il avait pris peur en entendant la panique entraînée par le passage de la camionnette meurtrière, il a tenté de quitter le quartier lui aussi, mais la police l'a arrêté pour un contrôle.
"C'est normal, ils ont vu ma barbe, ma tunique, ils m'ont fouillé. Tu te sens mal", raconte-t-il.
"Ce qui se passe en France, au Royaume-Uni ou ailleurs fait peur", témoigne aussi, en évoquant la montée des partis d'extrême droite, Islam Zahid, 22 ans, gérant d'une supérette dans une petite rue où seuls résonnent les cris d'enfants jouant au football.
En remontant les Ramblas avec sa fille pour rejoindre une manifestation de musulmans condamnant les attentats, Marzouk Rouj, un Marocain de 39 ans, avoue être "submergé" par la tristesse.
Au début de l'allée touristique, en plein coeur de la ville, il rejoint une centaine de personnes, les yeux humides. "Ils ne sont pas musulmans, ils sont terroristes", "l'islam c'est la paix", scande le groupe. Certains ont déposé une couronne de fleurs en hommage aux victimes.
"J'ai passé plus de temps ici que dans mon pays. Mes enfants sont scolarisés ici et je ne veux pas qu'on les regarde de travers à cause de ces barbares", s'énerve Marzouk, qui a quitté Nador, au nord-est du Maroc, quand il avait 16 ans.
"En fin de compte, nous, les musulmans, sommes les principales victimes, aussi bien parce que nous sommes les plus nombreux à être tués dans ces attentats qu'à cause de la pression sociale", se lamente aussi Xantal Genovart, vice-présidente de l'association des femmes musulmanes de Catalogne.
Cette région du nord-est de l'Espagne, où vit un quart de la population musulmane du pays, soit un demi-million de personnes, constitue l'une des principales zones de radicalisation, selon les experts.
Mounir Benjelloun, président de la Fédération espagnole des groupes religieux islamiques, se veut optimiste : "Je pense que l'Espagne saura faire la part des choses et ne pas nous assimiler aux coupables, afin que le message xénophobe ne se répande pas".
Vendredi, certains à Barcelone semblent lui avoir donné raison: quand une vingtaine de militants anti-islam ont tenté de manifester sur l'avenue, des passants les ont repoussés à coups de "Non aux racistes!"