"Les concepts d'Etat et d'unité des patries (...) n'ont plus d'avenir dans l'Europe démocratique actuelle": avec ces mots, le président régional catalan, l'indépendantiste Carles Puigdemont, a achevé dans la nuit de mercredi à jeudi une brève allocution à Barcelone, pour se féliciter de la convocation par décret d'un référendum sur l'indépendance de sa région, en dépit de son interdiction par la justice.
Dans trois semaines, si son camp l'emporte, la Catalogne, région espagnole de 7,5 millions d'habitants grande comme la Belgique, devra selon les séparatistes devenir une République indépendante, séparée du royaume d'Espagne.
Une course contre la montre s'engage désormais entre les deux camps.
Madrid tentera d'éviter le scrutin sans donner l'impression de brimer la région.
Dès ce jeudi matin, un conseil des ministres extraordinaire est prévu. Cette réunion a pour but de demander à la Cour constitutionnelle d'agir contre la loi régionale organisant le référendum, a déclaré à l'AFP un porte-parole du gouvernement.
Puis à 12h30 (10h30 GMT), le chef du gouvernement conservateur Mariano Rajoy recevra le chef de l'opposition socialiste Pedro Sanchez pour aborder le sujet, a précisé cette source.
A Barcelone, le Parlement catalan doit aussi siéger à nouveau à partir de 10h00 (8h00 GMT) et pourrait examiner une "loi de transition" qui doit définir comment la Catalogne fonctionnerait en cas d'hypothétique déclaration d'indépendance. Elle traite des questions cruciales comme la prise de contrôle des frontières.
La "Generalitat" -l'Exécutif catalan- désormais en campagne veut mobiliser un maximum de participants pour légitimer le scrutin, une mission difficile car il faut mettre en place une autorité électorale crédible et éviter les chausses-trappes de l'adversaire.
Mercredi, le Parlement régional a vécu une journée folle autour de l'adoption de la loi organisant le référendum, passant outre son interdiction par la Cour constitutionnelle.
Elle a été marquée par les huées, les applaudissements, les cris.
Il y avait d'un côté, les séparatistes, 72 députés sur 135, décidés à faire adopter cette loi, inspirés par le référendum organisé en Ecosse en 2014. Ils réclament en vain un tel scrutin depuis des années au chef du gouvernement, le conservateur Mariano Rajoy.
De l'autre, l'opposition -la droite, les socialistes, le centre- qui juge cette consultation illégale et estime que l'ensemble du peuple espagnol doit se prononcer sur l'avenir d'un territoire.
Au milieu, une dizaine d'élus partagés reprochent au référendum de n'être pas assorti de garanties et craignent l'aggravation des divisions dans une société catalane partagée à parts presque égales entre pro et anti-indépendance.
Finalement le texte a été adopté par 72 voix "pour" et 11 abstentions, avec des débats écourtés et sans un contrôle de légalité a priori par l'organe du Parlement dont c'est la vocation.
Ce fut "une atteinte inacceptable aux droits des élus", a dénoncé dans un éditorial jeudi le quotidien El Pais, fermement opposé aux séparatistes catalans.
Les élus opposés au référendum ont refusé de voter. Ils ont quitté l'hémicycle, abandonnant tristement derrière eux des drapeaux catalans et espagnols alignés côte à côte.
Mariano Rajoy n'a pas réagi à chaud, fidèle à son habitude.
La vice-présidente du gouvernement Soraya Saenz de Santamaria a annoncé une première saisine de la Cour constitutionnelle pour demander l'annulation des débats.
Les séparatistes accusent les juges de la Cour d'être "instrumentalisés", d'autant que sur ses 12 magistrats, 10 ont été désignés par des majorités conservatrices ou le gouvernement de M. Rajoy.
Dans leur loi sur le référendum, les parlementaires indépendantistes ont prévu d'instaurer un "régime juridique exceptionnel". Il prévaudra sur toutes les normes qui pourraient entrer en conflit avec le texte, ce qui équivaut à dire à l'Etat et à la justice que leurs décisions seront ignorées.
Face à eux, le gouvernement espagnol privilégie l'utilisation d'un arsenal juridique mis en place en prévision de cette situation.
Il peut aller jusqu'à une suspension des dirigeants catalans ordonnée par la Cour constitutionnelle et la saisine du patrimoine personnel des responsables.
Face à ces pressions, les indépendantistes disent défendre leurs droits démocratiques après des années d'humiliation par les conservateurs, qui ont notamment obtenu de la Cour qu'elle réduise des compétences plus larges accordées à la Catalogne entre 2006 et 2010.