Près de neuf mois après le début de l'invasion, le conflit a causé la mort de plus de 100.000 soldats de chaque côté, et une victoire militaire est «probablement» impossible pour un camp comme pour l'autre, a par ailleurs estimé le chef d'état-major américain, le général Mark Milley.
Le repli de Kherson sonne comme un cinglant revers pour Moscou, déjà contraint d'abandonner la région de Kharkiv (nord-est) en septembre. Il intervient aussi alors que Vladimir Poutine avait justement ordonné le 21 septembre la mobilisation de quelque 300.000 réservistes pour consolider les lignes russes.
«Procédez au retrait des troupes», a ordonné le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou lors d'une réunion avec le commandant des opérations russes en Ukraine, le général Sergueï Sourovikine, qui venait de préconiser cette décision «pas du tout facile» à prendre.
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«C'est la preuve qu'ils ont de vrais problèmes, la Russie, l'armée russe», a jugé mercredi le président américain Joe Biden.
Le symbole est d'autant plus fort que Kherson, 280.000 habitants avant le conflit, est la seule capitale régionale conquise par les forces russes, au début de leur offensive en Ukraine.
Elle fait aussi partie des quatre zones de l'Ukraine dont Vladimir Poutine a revendiqué l'annexion par Moscou il y a six semaines. Le président russe a célébré ces annexions lors d'un concert sur la Place Rouge, sous des banderoles proclamant que la Russie y serait présente «pour toujours».
Kiev circonspectMais l'annonce du retrait russe a été accueillie avec circonspection par Kiev, qui soupçonne Moscou de vouloir attirer ses forces dans une difficile bataille urbaine à Kherson.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a ainsi déclaré mercredi soir que son pays réagissait avec une «extrême prudence» à l'annonce du retrait russe.
«L'ennemi ne nous fait pas de cadeau, ne manifeste pas de ‘geste’ de bonne volonté+, nous devons tout gagner», a déclaré Volodymyr Zelensky dans son message quotidien aux Ukrainiens. «Nous devons donc faire preuve d'une extrême prudence, sans émotions, sans prise de risque inutile, afin de libérer toute notre terre avec des pertes aussi minimes que possible.»
«Nous ne voyons aucun signe que la Russie quitte Kherson sans combattre. Une partie des (troupes) russes est maintenue dans la ville», avait auparavant déclaré un conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak.
«Ils cherchent simplement à se sortir d'une situation difficile», a pour sa part déclaré à l'AFP Natalia Gumeniuk, porte-parole du commandement Sud de l'armée ukrainienne.
«Le fait qu'ils aient si délibérément annoncé qu'ils passaient sur la rive gauche (du fleuve Dniepr) n'a surpris personne. Mais nous savons que nous devrons encore nous battre», a-t-elle ajouté, en estimant que la bataille pour Kherson n'était pas terminée.
«Il est impossible de croire les paroles des Russes. Avec eux il faut toujours être prêts à tout», a estimé pour sa part la ministre adjointe de la Défense ukrainienne, Hanna Malyar.
«Je pense qu'ils mijotent quelque chose (...), peut-être une sorte de piège. Je ne crois pas qu'ils vont se rendre», estime Serguiï Filontchouk, un habitant de Kiev interrogé par l'AFP.
Concrètement, Sergueï Choïgou a ordonné aux combattants russes de se retirer de la rive occidentale du Dniepr, où se trouve Kherson, pour établir une ligne de défense sur la rive orientale de ce fleuve qui représente un obstacle naturel.
Le Kremlin a repoussé aussi longtemps que possible ce retrait humiliant, mais la situation était devenue de plus en plus difficile face à une armée ukrainienne visant les lignes d'approvisionnement russes à l'aide d'armements modernes livrés par les Occidentaux.
La région de Kherson est d'autant plus stratégique que son territoire est frontalier de la Crimée, péninsule ukrainienne annexée par Moscou en 2014.
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Le général Sourovikine a justifié mercredi le repli par sa volonté de protéger les vies des soldats russes.
Vladimir Poutine ne s'est pas exprimé sur ce retrait, mais des proches du Kremlin, comme le fondateur du groupe paramilitaire Wagner, Evguéni Prigojine, et le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, ont défendu la mesure.
«Entre faire un sacrifice absurde et sauver la vie des soldats, le général Sourovikine a fait un choix difficile, mais juste», a déclaré Ramzan Kadyrov, habituellement considéré avec Evguéni Prigojine comme un partisan de la ligne la plus dure.
Populations déplacéesDepuis l'annexion annoncée fin septembre, Moscou considère Kherson comme faisant partie du territoire national.
Or, Vladimir Poutine a prévenu que la Russie défendrait «par tous les moyens» ce qu'elle considère comme son territoire, d'autres hauts responsables russes brandissant explicitement un possible recours à l'arme nucléaire.
Le général Sourovikine a aussi annoncé mercredi que les autorités d'occupation avaient procédé ces dernières semaines à l'«évacuation» de 115.000 personnes de la rive droite vers la rive gauche du Dniepr.
L'Ukraine a dénoncé ces déplacements de population, les qualifiant de «déportation».
La Russie a probablement commis «des crimes contre l'humanité» en transférant de force vers son territoire ou dans des zones sous contrôle de séparatistes prorusses des civils ukrainiens originaires de zones que ses troupes occupaient en Ukraine, a accusé pour sa part ce jeudi Amnesty International.
«Des enfants ont été séparés de leurs familles (...) en violation du droit humanitaire international», a dénoncé l'ONG.
Alors que l'offensive russe entre bientôt dans son neuvième mois, l'Occident a continué de réaffirmer son soutien militaire, logistique et financier à Kiev.
La Commission européenne a proposé mercredi aux Vingt-Sept pays membres d'accorder à l'Ukraine une aide de 18 milliards d'euros pour 2023, sous forme de prêts.
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Mais le plus haut responsable militaire américain a dans le même temps averti que la victoire militaire était probablement impossible pour Kiev comme pour Moscou.
«Il y a bien plus de 100.000 soldats russes tués et blessés», a déclaré le général Mark Milley, qui s'exprimait devant le New York Economic Club. «Même chose probablement du côté ukrainien», a-t-il ajouté.
«Il doit y avoir une reconnaissance mutuelle que la victoire militaire n'est probablement pas, au sens propre du terme, réalisable par des moyens militaires, et qu'il faut donc se tourner vers d'autres moyens», a ajouté le général Milley, selon qui il existe «une fenêtre d'opportunité pour la négociation».