A Rangoon, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, qui a annulé un déplacement pour l'Assemblée générale de l'ONU, débutant la semaine prochaine, et qui rejette toute critique, a fait savoir qu'elle sortirait publiquement de son silence prochainement.
A l'issue d'une réunion à huis clos, le Conseil de sécurité a souligné la nécessité d'un accès humanitaire aux Rohingyas. Ses membres "appellent le gouvernement birman à tenir ses engagements de faciliter l'aide humanitaire dans l'Etat Rakhine (aussi appelé Arakan)", dit une déclaration lue par le président tournant du Conseil, l'ambassadeur éthiopien Tekeda Alemu.
L'ONU et les ONG n'ont accès à la population Rohingya qu'au Bangladesh.
Plus de 379.000 Rohingyas se sont réfugiés dans ce pays limitrophe de la Birmanie depuis fin août pour fuir une campagne de répression de l'armée birmane consécutive à des attaques de rebelles rohingyas. Et des milliers d'autres seraient toujours sur les routes.
Peu avant la déclaration du Conseil de sécurité, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, avait appelé la Birmanie à suspendre ses opérations militaires contre la minorité Rohingya, considérant que les autorités se livraient à un nettoyage ethnique.
"J'appelle les autorités de Birmanie à suspendre les activités militaires et la violence et à faire respecter la loi", a déclaré M. Guterres. S'agit-il de nettoyage ethnique? "Quand un tiers de la population Rohingya doit fuir le pays, pensez-vous pouvoir trouver un meilleur mot pour décrire "la situation?, a-t-il répondu à un journaliste, sans utiliser lui-même l'expression nettoyage ethnique.
Aung San Suu Kyi, ex-dissidente et prix Nobel de la paix, est sous le feu des critiques à l'international pour sa position ambiguë sur le sort de cette minorité musulmane persécutée en Birmanie. Lors de l'Assemblée générale de l'ONU de l'an dernier, elle s'était engagée à la tribune à défendre ses droits.
Pressée de s'exprimer par la communauté internationale, mais devant maintenir un précaire équilibre dans ses relations avec la très puissante armée birmane, Suu Kyi prononcera finalement le 19 septembre un discours télévisé sur la situation au Rakhine, ont annoncé ses services.
L'ONU considère que les Rohingyas sont victimes d'une "épuration ethnique" au Rakhine, région historiquement en proie à des troubles communautaires et sujette à une nouvelle flambée de violences depuis fin août.
Lors de son seul commentaire officiel sur cette crise, la cheffe du gouvernement birman avait dénoncé un "iceberg de désinformation" sur les Rohingyas et défendu l'action de l'armée.
Autorités locales et organisations internationales peinent à prendre en charge cette marée humaine. Les réfugiés arrivent au Bangladesh épuisés et affamés, après des jours de marche sous la pluie et au péril de leur vie.
Dans un hôpital du district bangladais de Cox's Bazar, visité par une équipe de l'AFP, une salle entière était remplie de réfugiés rohingyas blessés, le plus souvent par balle mais aussi par des mines antipersonnel pour certains.
Le silence n'était rompu que par les gémissements de douleur d'un adolescent de 15 ans ayant perdu ses deux jambes. Les médecins ne lui donnaient plus longtemps à vivre.
A quelques kilomètres, au-delà des camps de réfugiés transformés en bourbiers par les pluies, la rivière Naf - frontière naturelle entre la Birmanie et le Bangladesh - continuait de charrier des cadavres de réfugiés ayant péri dans le naufrage de leurs embarcations de fortune.
Dans une lettre ouverte au Conseil de sécurité, une dizaine de prix Nobel ont appelé mercredi les Nations unies à "des actions audacieuses et décisives".
"Nous vous demandons d'agir immédiatement pour faire cesser les attaques militaires aveugles sur des civils innocents", indique ce texte signé entre autres par le Bangladais Muhammad Yunus, la Pakistanaise Malala Yousafzai et le Sud-Africain Desmond Tutu.
Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a directement "exprimé ses profondes préoccupations quant à la situation des musulmans rohingyas" lors d'une conversation téléphonique mercredi avec Mme Suu Kyi. Il l'a enjoint à "mettre fin à la violence" et à "assurer la protection des civils".
L'ONG Human Rights Watch avait espéré avant la réunion du Conseil que des décisions substantielles seraient prises, notamment un embargo sur les armes.
Antonio Guterres a réfuté mercredi toute incapacité des Nations unies à mettre un terme à la "tragédie" de populations "qui souffrent, qui sont décimées". Il a mis en avant l'action des instances de l'ONU chargées des droits de l'Homme et de celles qui fournissent de l'aide humanitaire dans les zones du Bangladesh où fuient les Rohingyas.
Traités comme des étrangers en Birmanie, un pays à plus de 90% bouddhiste d'Asie du Sud-Est, les Rohingyas sont apatrides, même si certains y vivent depuis des générations. Ils sont victimes de multiples discriminations: travail forcé, extorsion, restrictions à la liberté de mouvement, règles de mariage injustes et confiscation des terres.