Depuis 1974, c'est devenu un exercice obligé, empreint d'une certaine dramaturgie, saupoudré de formules légendaires, comme «vous n'avez pas le monopole du cœur», «mais vous avez tout à fait raison Monsieur le Premier ministre», «moi président…»
En réalité, estiment les experts, l'influence du débat a longtemps été surévaluée. «Jusqu'en 2017, il n'y avait jamais eu d'impact significatif d'un débat d'entre-deux tours alors que dans l'imaginaire, c'est la grande finale. 2017 a été une véritable rupture», souligne Frédéric Dabi, directeur général de l'Ifop.
Le crash en direct, devant 16,5 millions de téléspectateurs, de Marine Le Pen, noyée dans ses fiches, agressive et brouillonne, avait totalement plombé la candidate d’extrême-droite.
Cette année, on prend les mêmes, mais la donne a changé. Emmanuel Macron est moins sûr de sa victoire et son avance dans les sondages moins grande (53 à 55%).
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A quatre jours du second tour, le président devra aussi défendre son bilan et n'est plus «le jeune homme neuf» de 2017, comme le rappelle le politologue Stéphane Rozès.
«Il ne va pas pouvoir dire qu'il est tombé de Jupiter ou de la lune», ironise Philippe Olivier, le conseiller de Marine Le Pen.
Enfin, Marine Le Pen assure avoir tiré les leçons de 2017 où elle était arrivée mal préparée et fatiguée, après avoir multiplié les déplacements. Cette fois, elle a vidé son agenda à partir de lundi après-midi, se retirant dans l'Ouest, à l'image d'un boxeur avant un grand combat, pour potasser ses dossiers et s'entraîner au débat.
Le président-candidat lui-même s'attend à une configuration différente de 2017. «J'ai conscience qu'elle a pris beaucoup de temps pour s'y préparer», dit-il, assurant aborder «ces discussions avec beaucoup de sérieux».
Sur le fond, ce sont deux projets à l'opposé qui vont s'affronter.
«Re-démasquer la ménagère avec ses chats»«La stratégie du "tout sauf Le Pen" ne fonctionne plus. C'est vraiment du projet contre projet, argument contre argument, sur tous les enjeux qui nous séparent violemment du projet de Marine Le Pen: sur l'Europe, sur le rapport à l'autre, sur l'économie, sur le social, sur le fiscal, bref sur tout», insiste le député LREM Roland Lescure sur RFI.
Un cadre de la majorité évoque un «débat à double lame». Emmanuel Macron doit «parler de ce qu'on veut faire mais il va aussi falloir qu'il pose des questions à Marine Le Pen. Il faut la "re-démasquer". On l'a laissée trop longtemps s'installer dans cette image sympathique de ménagère avec ses chats».
Sur la forme, «l'enjeu est d'être persuasif et convaincant sans prendre un ton trop professoral», souligne l'entourage du candidat Macron dont ce sera le tout premier débat de la campagne, le RN l'accusant d'avoir «fui» la confrontation jusque-là.
Pour la directrice générale d'Odoxa Céline Bracq, Emmanuel Macron devra «ne pas paraître comme un épouvantail pour les électeurs de gauche», que les deux candidats draguent ouvertement, et éviter d'être «trop techno».
«Pour Marine Le Pen, ajoute-t-elle, l'enjeu est d'être crédible du point de vue économique. Avoir l'air de ne pas maîtriser les choses est un vrai handicap.»
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Dans le camp Le Pen, on est persuadé que la candidate se montrera plus solide sur les dossiers et plus apaisée dans l'attitude.
Désormais, c'est même elle qui accuse son rival d'être «brutal et agressif». De son côté, elle entend d'abord «présenter la philosophie» de son projet et se dit «extrêmement sereine».
Sur cette «zénitude» affichée, certains demandent toutefois à voir. Dans la campagne, Marine Le Pen «a montré beaucoup de calme» mais, «comme il n'y a pas eu d'affrontement entre les candidats, personne ne sait comment ça va se passer si elle se retrouve poussée dans ses retranchements», souligne Céline Bracq.