"Elle n'est pas battue d'avance. Ceux qui pensent (...) qu'il n'y a aucun danger du côté de l'extrême droite se trompent lourdement. La gauche comme la droite peuvent perdre contre Marine Le Pen", mettait récemment en garde un ministre socialiste.
Tout semble sourire au Front national, en progression constante depuis 2012 et arrivé en tête au premier tour des régionales l'an dernier avec un score historique de 28%. A six mois de la présidentielle, l'impopulaire chef de l'Etat François Hollande a plongé la gauche dans le marasme, à droite la primaire a déclenché une guerre des chefs.
Les multiples attentats jihadistes depuis 2015 ont concentré les discours de tous bords sur la sécurité, l'immigration, l'identité: une trilogie portée par le Front national depuis sa création en 1972 par le père de Marine, Jean-Marie Le Pen.
"Avantage énorme, c'est quelqu'un qui n'a jamais participé au pouvoir. Ca gomme beaucoup d'aspects peu crédibles de son programme", souligne le chercheur Jean-Yves Camus.
"Je n'ai pas d'ascenseur à renvoyer à quiconque, je n'ai pas "dealé" avec les uns et les autres. Cette position-là me permet d'être juste dans la manière dont je vais exercer le pouvoir", argumente celle qui avait terminé troisième à la présidentielle de 2012.
Le contexte actuel joue en sa faveur: le flux migratoire sans précédent en Europe depuis la Seconde guerre mondiale a favorisé la percée des discours ultra-nationalistes, islamophobes, anti-européens et xénophobes en Autriche, Allemagne, Hongrie, Pologne, aux Pays-Bas, au Danemark...
Le 4 décembre en Autriche, le candidat du FPÖ, l'un des partis d'extrême droite les mieux implantés en Europe, espère remporter la présidentielle après l'annulation du scrutin de mai, qu'il a perdu de 31.000 voix mais qui a été annulé à la suite d'irrégularités.
Le choix historique et inattendu des Britanniques en faveur du Brexit porté par le parti europhobe Ukip participe de la dynamique populiste actuelle. Outre-Atlantique, la fulgurante ascension du candidat républicain Donald Trump dans la campagne américaine a aussi donné un puissant écho à ces thèmes.
Mais, à l'heure actuelle, si toutes les enquêtes d'opinion assurent que Marine Le Pen se qualifiera au soir du 23 avril pour le second tour-- et parfois même en tête --, toutes la donnent également battue le 7 mai. Hypothèse la plus probable: la victoire reviendrait au candidat de droite.
Pour le politologue Joël Gombin, "l'élection présidentielle, qui a un mode de scrutin majoritaire à deux tours, impose de disposer d'une coalition électorale pour l'emporter et de convaincre au-delà de son camp".Or, depuis 1958 "aucun parti n'a réussi à dépasser seul la barre des 50% des voix exprimées" et "le FN est justement dans ce refus des alliances", ce qui le rend attractif mais le prive de réserves de voix au second tour, selon lui.
Loin des saillies racistes et antisémites de son père, la stratégie de "dédiabolisation" de Marine Le Pen depuis son accession à la tête du parti en 2011 lui a permis de séduire dans tout le spectre politique: à droite, des électeurs adhèrent à ses arguments antimmigration repris par leurs propres dirigeants, à gauche, elle joue sur la déception très forte notamment sur le front endémique du chômage.
Mais, malgré ses efforts pour rassurer, son image reste clivante. Et son programme économique, notamment la sortie de l'euro, inquiète.
Depuis sa rentrée politique en septembre et le lancement de son slogan de campagne "Au nom du peuple", elle laisse habilement droite et gauche s'écharper. Elle a prévu de descendre dans l'arène en février, et en attendant elle mène sur le terrain une stratégie d'apaisement pour rallier les plus rétifs, comme les seniors.
Lors d'un récent meeting, elle a pris soin de tenir des propos rassembleurs : "Au-delà de nos différences, de nos histoires personnelles et de nos préférences partisanes, des formules et des politiques, nous avons la France en commun".