Est-ce le scrutin le plus décisif de la Ve République? Au vu des derniers sondages, le président sortant, donné vainqueur dans une fourchette de 55,5 à 57,5%, est bien parti pour prolonger de cinq ans son bail à l'Elysée. Ce serait un exploit politique encore jamais réalisé, hors cohabitation, depuis l'adoption du vote au suffrage universel direct en 1962.
Mais si la France –et le monde– retient son souffle, c'est parce que l'enjeu colossal, inhérent à tout scrutin présidentiel, est encore exacerbé par la possibilité de voir l'extrême droite prendre le pouvoir. Et diriger une puissance mondiale, membre du conseil de sécurité de l'ONU, dotée de l'arme nucléaire.
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Le résultat est scruté de près à l'étranger, où l'on guette avec angoisse une réplique des séismes populistes du Brexit et de l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis. Les dirigeants allemand, espagnol et portugais ont appelé jeudi à choisir le «candidat démocrate».
A Bruxelles et dans de nombreuses chancelleries, on est d'ores et déjà consterné de voir l’extrême-droite, en comptant aussi Eric Zemmour, à un niveau aussi élevé en France.
Emmanuel Macron avait promis, lors de son discours du Louvre en 2017, de «tout» faire pour que les électeurs «n'aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes».
Non seulement il a échoué mais le front républicain a perdu de sa vigueur. Malgré les tribunes et les appels du spectre politique traditionnel à faire barrage à l'extrême droite. Malgré les efforts de la macronie pour rediaboliser «la dame aux chats», qui a axé sa campagne sur le pouvoir d'achat plutôt que sur l'immigration ou l'insécurité.
Sacralisé il y a vingt ans face à Jean-Marie Le Pen, patriarche de l'extrême droite française, le front républicain est aujourd'hui concurrencé par un autre front, le «tout sauf Macron». Ecueil récurrent pour tous les sortants, il fonctionne particulièrement bien pour Emmanuel Macron, après un quinquennat émaillé de crises, des «gilets jaunes» au Covid-19.
Selon une enquête du Cevipof, 38% des électeurs de Marine Le Pen la choisissent d'abord pour barrer la route à Emmanuel Macron. En faire un «ennemi commun» est tout l'enjeu pour la candidate du RN, résume le politologue Bruno Cautrès.
«Rien n'est joué», insistent les soutiens du président sortant. Histoire de ne pas injurier l'avenir. Mais aussi de conjurer l'abstention qui, selon les experts, sera le grand arbitre du scrutin.
Selon Martial Foucault (Cevipof), «plus l'abstention sera forte et plus l'écart des intentions de vote est amené à se réduire», pointant «un vrai risque pour Emmanuel Macron».
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Dans l'entre-deux tours, les deux candidats sont donc partis à la chasse aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon, arrivé troisième au premier tour. Pour les attirer, Marine Le Pen a nuancé sa position sur le voile pendant qu'Emmanuel Macron a opéré un virage serré à gauche, promettant de faire de l'écologie l'alpha et omega de sa politique.
Pour le reste, la campagne, longtemps occultée par la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine, et le débat mercredi ont mis en exergue les divergences profondes entre les deux candidats.
Europe, économie, pouvoir d'achat, relations avec la Russie, retraites, immigration: Marine Le Pen et Emmanuel Macron ne sont d'accord sur à peu près rien. Et semblent incarner plus que jamais deux France. Avec d'un côté, ce que le politologue Jérôme Fourquet appelle «la France triple A, la France instagrammable, celle qui fait rêver tout le monde». Et de l'autre celle «de la relégation».
Quel que soit le vainqueur, le résultat du scrutin risque de faire beaucoup de déçus.
Un troisième tour est prévu dans les urnes en juin, avec les législatives lors desquelles Jean-Luc Mélenchon veut imposer une cohabitation en devenant Premier ministre. L'objectif est ambitieux, mais obtenir une majorité pourrait être difficile pour Marine Le Pen comme pour Emmanuel Macron.
Un autre troisième tour se prépare, dans la rue cette fois, où risquent de converger tous les insatisfaits sur les braises encore chaudes de la crise des «gilets jaunes».
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Si Emmanuel Macron est réélu, l'automne s'annonce brûlant, notamment sur le front des retraites. Et des pans entiers de la population ne se retrouvent pas dans son programme, notamment la jeunesse qui a accueilli avec beaucoup de circonspection le virage vert du candidat.
«Je pense que ce sera un mandat super compliqué», anticipe un cadre de la majorité. Si c'est Marine Le Pen qui accède l'Elysée, les secousses risquent de se faire ressentir dès dimanche soir. Et dès le lendemain, ce sera la plongée dans l'inconnu.