Comme chaque année durant le mois sacré de ramadan, plusieurs chaînes privées algériennes diffusent de multiples séquences filmées en caméras cachées, piégeant anonymes et ou personnes publiques, à coups de brutalités, menaces et humiliations. On a pu voir une femme devoir prouver son innocence à de faux policiers l'accusant d'avoir kidnappé un enfant, un ex-ministre prétendûment arrêté pour "intelligence avec l'étranger" ou un acteur, Redouane Djaouani, menacé d'être exécuté par de prétendus trafiquants en plein désert.
Des séquences qui avaient déjà suscité des protestations - sans suite - sur les réseaux sociaux. Mais le 31 mai, en s'en prenant dans sa séquence quotidienne "Rana Hkemnak" (On t'a piègé), à Rachid Boudjedra, ancien combattant de la guerre d'indépendance et grand nom de la littérature et de la poésie algériennes, la chaîne privée Ennahar a suscité l'indignation.
Invité à une prétendue nouvelle émission littéraire, l'écrivain de 74 ans, scénariste notamment du film algérien "Chroniques des années de braise", Palme d'or du festival de Cannes en 1975, y est humilié et brutalisé. De faux policiers font notamment irruption et intiment à Boudjedra - athée revendiqué dans un pays où l'islam est religion d'Etat et qui a été menacé de mort par les islamistes durant la guerre civile des années 1990 - de réciter la "chahada", la profession de foi de l'islam.
Bien qu'il ait refusé que ce canular douteux soit diffusé et ait menacé la chaîne de poursuites, Ennahar a passé outre. "J'ai contacté à plusieurs reprises le directeur de la chaîne et tout ce à quoi j'ai eu droit ce sont de simples excuses du rédacteur en chef", a expliqué à l'AFP Boudjedra, affirmant qu'il allait traduire la chaîne en justice.
Cette séquence a suscité des réactions indignées dans la presse et sur les réseaux sociaux, pointant du doigt plus largement caméras cachées humiliantes et "reportages" racoleurs qui se multiplient sur les chaînes privées algériennes. Le poète Achour Fenni a appelé sur Facebook au "boycott des chaînes de télévision" tandis que l'écrivain et éditeur Lazhari Labter a dénoncé les "violence contre les femmes, bagarres, humiliation" de "ces caméras cachées scandaleuses".
Samedi, une centaine de journalistes, intellectuels et universitaires se sont rassemblés devant le siège de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (Arav) à Alger.
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Saïd Bouteflika, frère et conseiller du président algérien, a fait une brève apparition et parlé d'une "ignominie" contre Boudjedra. Parmi les voix discordantes, Saïd Mekadem, journaliste à la télévision publique algérienne déplore: "Boudjedra a accepté l'invitation d'une chaîne dont il connaît les penchants mais refusé de participer à une émission culturelle que je présente".
L'Arav, qui a reçu Boudjedra, a condamné "des pratiques contraires aux principes de la déontologie", mais sans pouvoir agir. "Le président de l'Arav, Zouaoui Benhamadi, nous a exprimé son regret de ne pouvoir intervenir, son institution ayant un caractère consultatif uniquement", a expliqué à l'AFP le journaliste et écrivain Hmida Laayachi, qui accompagnait Boudjedra, appelant à la "fermeté" contre les chaînes qui "enfreignent les lois".
Samedi, le directeur d'Ennahar Anis Rahmani a annoncé sur Twitter l'arrêt de "Rana Hkemnak". Mais la chaine continue de diffuser une dizaine d'émissions de caméras cachées, de divers formats, mais utilisant toutes les mêmes ressorts. Pour Salim Aggar, critique de cinéma, les caméras cachées en Algérie ramènent les Algériens à la "décennie noire", la guerre civile qui fit 200.000 morts de 1992 à 2002: "Le but d'une caméra cachée à la base est le divertissement et le rire mais (en Algérie) elle s'est transformée en un instrument de terreur".
En 2012, une loi a mis fin à 50 ans de monopole de l'Etat sur l'audiovisuel. Plus de 50 chaînes de télévision privées ont vu le jour depuis mais seules cinq, dont Ennahar, ont reçu un agrément provisoire.