Après une journée de rébellion armée spectaculaire, Evguéni Prigojine doit partir pour le Bélarus et les poursuites contre lui seront abandonnées, a annoncé le Kremlin. On ignore dimanche où se trouve le tempétueux patron de Wagner, qui avait promis la veille «de libérer le peuple russe» en lançant ses troupes vers Moscou, mais a finalement fait machine arrière afin d’éviter de faire couler le «sang russe».
«Il y était de l’intérêt supérieur d’éviter un bain de sang», a déclaré le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov dans la soirée, saluant «une résolution sans nouvelles pertes» de la crise, qui a vu le président bélarusse Alexandre Loukachenko jouer le médiateur.
Monopole de la violence
Cette crise aussi extraordinaire que de courte durée ne sera pas sans conséquences pour Wagner et son chef, prédisent les analystes. «Il faut qu’il y en ait. Sinon le message est qu’une force militaire peut ouvertement défier l’Etat, et d’autres doivent comprendre que l’Etat russe a effectivement le monopole de la violence à l’intérieur du pays», a tweeté Samuel Bendett, chercheur au Center for Naval Analyses.
«Poutine et les services de sécurité essaieront probablement d’affaiblir Wagner ou d’écarter Prigojine», a tweeté pour sa part Rob Lee, chercheur au Foreign Policy Research Institute aux Etats-Unis. Selon lui, «les effets les plus importants se feront ressentir au Moyen-Orient et en Afrique, où Wagner est très présent».
Les troupes de Wagner s’étaient approchées samedi à moins de 400 km de la capitale, après s’être emparées dans la matinée du quartier général de l’armée russe à Rostov (sud-ouest), centre névralgique des opérations en Ukraine.
Après avoir été acclamés par des dizaines d’habitants, ces combattants, avec leur chef à la tête du convoi, ont finalement quitté les lieux, a indiqué dans la nuit Vassili Goloubev, gouverneur de la région. Aucun des combattants du groupe Wagner, qui joue un rôle clé aux côtés de l’armée russe en Ukraine, ne sera poursuivi pour le coup de force, selon le Kremlin. «Personne ne persécutera (les combattants), compte tenu de leurs mérites au front» ukrainien, a assuré Dmitri Peskov.
«Guerre civile»
Si les termes de l’accord avec Wagner restent sujet à spéculations, le président Loukachenko, proche allié de M. Poutine, semble avoir joué un rôle-clé. «Nous sommes reconnaissants envers le président du Bélarus pour ces efforts», a salué le porte-parole du Kremlin.
Le président Poutine a tenté de garder la main face à cette rébellion inédite, dénonçant une «trahison» et agitant le spectre d’une «guerre civile». Le Kremlin a parallèlement mis en garde les pays occidentaux contre toute tentative de «profiter de la situation intérieure en Russie pour atteindre leurs objectifs russophobes».
Certaines mesures de sécurité exceptionnelles prises en Russie face à l’avancée de Wagner ont commencé à être levées, notamment dans la région de Lipetsk, au sud de Moscou, où avaient pénétré des paramilitaires. Le maire de Moscou avait appelé les habitants à limiter les déplacements en ville, qualifiant la situation de «difficile», et décrété lundi jour chômé.
«Coup de poignard»
L’heure semble donc désormais à un relatif apaisement entre M. Poutine et le chef de Wagner, après une journée de samedi ponctuée par de virulentes déclarations des deux hommes.
Samedi matin dans une adresse à la nation, Vladimir Poutine s’en était pris sans le nommer à l’homme qui ose le défier. «C’est un coup de poignard dans le dos de notre pays et de notre peuple. (…) Ce à quoi nous faisons face, ce n’est rien d’autre qu’une trahison», avait-il déclaré.
Vladimir Poutine «se trompe profondément», avait rétorqué le chef de Wagner. «Nous sommes des patriotes. Personne ne va se rendre à la demande du président, des services de sécurité ou de qui que ce soit», avait-il promis en s’en prenant pour la première fois directement au président russe.
Dans plusieurs messages audio vendredi, le patron de Wagner avait affirmé que des frappes russes avaient fait un «très grand nombre de victimes» dans ses rangs et avait accusé le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou d’en être responsable. Ces accusations «ne correspondent pas à la réalité et sont une provocation», a répliqué le ministère de la Défense.