L’Observatoire citoyen pour la défense des institutions (OCDI, société civile) a déposé, vendredi 12 février, une lettre au siège des Nations-Unies à Dakar pour réclamer «la libération de Karim Wade conformément à l’avis du Groupe de travail des Nations Unies».
Cette démarche faisait suite à la plainte déposée, le 2 février, auprès du tribunal de Grande instance de Paris, par les avocats de l’ancien ministre et fils de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade pour dénoncer sa «détention arbitraire».
Ces derniers expliquaient cette démarche auprès de la justice française par la double nationalité franco-sénégalaise de Karim Wade pour «faire respecter ses droits dont il est privé par le pouvoir politique sénégalais». «Nous ne disposons plus d’aucun recours au Sénégal et l’Etat refuse de se conformer à ses obligations internationales», expliquait Me Seydou Diagne, l’un des avocats de Karim Wade.
Il faisait référence au nouvel avis du groupe de travail des Nations Unies publié le 29 janvier, confirmant sa décision de 2015 qualifiant d’«arbitraire» la détention préventive dont Karim Wade avait fait l’objet avant son procès.
Un autre avocat de Karim Wade, Amadou Sall, a beau déclarer que «Karim Wade fera sa déclaration d’honneur au moment venu en renonçant à sa nationalité française conformément à la loi sénégalaise», cet aveu de double nationalité n’arrête plus d’enflammer le débat politique au Sénégal.
Des hauts responsables politiques du parti au pouvoir se sont exprimés pour dénier à Karim Wade – candidat désigné du Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition) – toute légitimité à briguer la magistrature suprême lors des prochaines élections.
Ces derniers jours, le débat a même débordé la simple personne de Karim Wade pour viser explicitement son père, l’ancien président Abdoulaye Wade, qui aurait aussi conservé sa nationalité française.
Et pour ne rien n'arranger, le Secrétariat exécutif national (SEN) de l’Alliance pour la République (APR, le parti au pouvoir) a exprimé, lors de sa dernière réunion, en fin de semaine dernière sous la présidence de Macky Sall, sa «vive préoccupation relativement au débat consécutif aux déclarations d’un avocat [Me Amadou Sall] et portant sur la double nationalité de l’ancien président de la République du Sénégal, Me Abdoulaye Wade».
«Une telle question, réglée avec précision et rigueur par les dispositions de la constitution du Sénégal, mérite aujourd’hui, d’être tirée au clair, afin que tous les Sénégalais soient édifiés», souligne le communiqué du SEN signé par Seydou Guèye, le porte-parole du gouvernement. Cette instance du parti au pouvoir demande aux députés «la mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire afin de faire la lumière sur cette affaire».
Le camp de Wade n’a pas tardé à répliquer. Des proches de l’ancien président accusent à leur tour l’actuel président, Macky Sall, d’être «aussi Français».
Même Senghor et Abdou Diouf, les deux premiers présidents du Sénégal, auraient conservés leur double nationalité franco-sénégalaise, y compris quand ils exerçaient le pouvoir, soutient Farba Senghor, un proche de Abdoulaye Wade, dans un document qu’il attribue à ce dernier.
Bref, tous les présidents qui se sont succédés à la tête du Sénégal depuis l’indépendance seraient «franco-sénégalais» !
Mais ce glissement «dangereux» du débat politique sur la sénégalité –en référence au concept d’«ivoirité» qui a enfanté un sanglant conflit en Côte d’Ivoire– n’est pas sans inquiéter certains responsables politiques et de la société civile.
Le philosophe Souleymane Bachir Diagne, l’un des intellectuels les plus respectés du pays, a ainsi exhorté les Sénégalais, ce samedi 13 février, à «faire du débat sur la bi-nationalité un défi et une opportunité de développement humain et éviter de politiser le débat». Il souligne toutefois que le débat actuel au Sénégal est très différent de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire.