"Les ressources déployées (par le régime d'Assad et Moscou) pour reprendre Alep ont entraîné une série de victoires opportunistes de l'EI" en Syrie, note Charles Lister, du centre de recherche américain Middle East Institute.
En pleine offensive russo-irano-syrienne contre les rebelles à Alep, les jihadistes de l'EI ont repris mi-décembre la ville de Palmyre, connue pour sa cité antique, dont ils avaient été chassés en mars.
"Moscou et Damas ont jugé prioritaire la défaite de l'opposition dans la ville d'Alep par rapport à la défense de Palmyre contre l'EI, faisant croître de fait la menace posée par les groupes jihadistes au nord et à l'est de la Syrie", commente l'Institute for the Study of War (ISW), un think-tank basé à Washington.
"Daech (acronyme arabe de l'EI) apparaît comme le grand vainqueur de la chute d'Alep", renchérit Jean-Pierre Filiu, professeur à la Paris School of International Affairs. Outre la reprise de Palmyre, "le scandale de la passivité internationale face au martyre d'Alep relance la propagande jihadiste dans le monde entier, permettant à Daech de frapper coup sur coup en Jordanie et en Allemagne".
Les jihadistes ne tiennent plus aujourd'hui que la moitié du territoire dont ils s'étaient emparés en 2014 en Irak et en Syrie et ont enregistré leurs plus lourdes défaites cette année face aux forces et pays coalisés contre eux.Dans le nord de la Syrie, le groupe ultraradical sunnite a notamment perdu Kobane, Minbej ou encore Dabiq, pierre angulaire de sa mythologie. Son fief d'Al-Bab, au nord d'Alep, est par ailleurs attaqué par la Turquie, qui a déclenché il y a quatre mois une offensive dans le nord de la Syrie pour chasser l'EI de sa frontière.
Mais les jihadistes contrôlent toujours Raqa, capitale syrienne de son "califat" autoproclamé. Le groupe a également la mainmise sur les rives de l'Euphrate, jusqu'à la frontière irakienne via Deir Ez-Zor.
La récente reprise de Palmyre, dans la province centrale de Homs, "met en évidence l'incapacité des forces progouvernementales syriennes à rétablir la sécurité dans tout le pays sans le soutien durable de la Russie et de l'Iran, malgré leur récent succès à Alep", d'après l'ISW.
Après la bataille d'Alep apparaît une division des tâches entre grandes puissances: Moscou devrait continuer à apporter son soutien au régime de Bachar al Assad pour reprendre des territoires aux rebelles syriens (opposition modérée ou islamistes d'Ahrar Al-Cham ou Fatah Al-Cham) pendant que Washington poursuit la lutte contre l'EI.
"Les Russes veulent reconquérir la Syrie "utile" et laisser le bourbier de "Daechland" aux Occidentaux. Il y a un partage de facto de la Syrie en deux, les Russes à l'Ouest et les Américains à l'Est", estime une source diplomatique européenne.
Mi-décembre, le général américain Stephen Townsend, qui commande la campagne aérienne de la coalition anti-EI, a d'ores et déjà prévenu que Washington se chargerait de reprendre Palmyre si Moscou ne le faisait pas.
Mais le plus grand défi reste la reprise de Raqa, bastion syrien de l'EI d'où ont été planifiés les attentats contre l'Europe et le monde arabe.
Début novembre, les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition arabo-kurde soutenue par les Etats-Unis au sol et dans les airs, ont lancé une offensive pour reprendre la ville.
Mais la Turquie pourrait également décidement d'intervenir et compliquer l'équation, alors qu'Ankara s'inquiète de voir les milices kurdes, qu'elle considère comme "terroristes", prendre pied à Raqa à la faveur de cette offensive dont elles sont le fer de lance.
Pour Jean-Pierre Filiu, "l'indifférence de la Russie envers le sort de Raqa et l'enlisement des Etats-Unis dans la bataille de Mossoul laissent ouverte la possibilité d'une intervention de la Turquie et de ses protégés syriens".