"Avec ce qui s'est passé, on ne voit que l'essentiel", explique à l'AFP Goldy Justiniano, une Bolivienne de 31 ans qui travaille sur le marché de la Boqueria.
C'est par ce marché couvert, en se mêlant aux badauds, que le conducteur de la camionnette, qui a semé la terreur laissant derrière lui treize morts et plus de 120 blessés, s'était enfui à pied la semaine dernière.
Il a été abattu par les policiers lundi, mettant un point final à la traque des suspects de la cellule jihadiste accusée d'avoir fait 15 morts au total en deux attentats.
Goldy, qui vit à Barcelone depuis plus de dix ans, vendait ses fruits ce jour-là. Elle a été témoin des scènes de panique. Depuis, rien n'est plus pareil, explique-t-elle : "les gens se prennent dans les bras, s'embrassent".
Oubliées les pommes de discorde dans la ville, comme la question indépendantiste ou l'afflux massif de touristes.
Il y a encore quelque temps, les sondages révélaient de profondes divisions parmi les Catalans, sur l'opportunité ou non de se séparer du reste de l'Espagne.
"Il ne viendrait à l'idée de personne de parler d'indépendance en ce moment", lâche Jésus Gomez, 72 ans, en photographiant le mémorial improvisé près du théâtre de l'Opéra, le Liceu, où la camionnette a terminé sa course macabre.
Là, devant ce parterre de bougies, de peluches, de dessins d'enfants et de messages de solidarité, les passants se recueillent en silence, à n'importe quel moment de la journée.
Une femme, élégante, s'accroupit, s'empare d'une boîte d'allumettes abandonnée sur le sol et rallume une bougie que le vent a éteinte.
"Plus sensibles? Oui, évidemment que nous le sommes tous", admet Montse Paltré, une secrétaire administrative de 48 ans, venue montrer à sa fille toutes ces marques d'affection, déposées en divers endroits de la rue.
Calmée, la colère des Barcelonais, qui, à la mi-août, se montraient excédés par les hordes de touristes qui débarquent dans la capitale catalane, et font monter les prix des loyers.
Les victimes des attentats étaient de plus de 30 nationalités différentes.
"C'est absurde de mettre sur le dos des visiteurs le problème du tourisme de masse à Barcelone, ça a toujours été une ville ouverte à tous", poursuit Montse.
La trêve profite également à la police catalane, dont tous ont salué l'efficacité, et dont un agent a abattu à lui seul quatre des cinq jihadistes qui ont foncé dans la foule à Cambrils, une station balnéaire au sud de Barcelone.
Elles paraissent loin, les critiques contre les Mossos d'Esquadra, qui en 2012 avaient éborgné une femme en réprimant une manifestation anti-austérité, ou qui ont été accusés de violence sur les personnes en garde à vue.
"Il aura fallu ça (l'attentat) pour qu'on se mette à apprécier les forces de l'ordre", remarque Angel Toscana, 44 ans, vendeur dans un des kiosques de presse qui jalonnent les Ramblas.
Près de la place de Catalogne, d'où la camionnette était partie, une vieille dame s'approche d'un groupe de policiers, fusil à la main, et les félicite.
Ils la remercient d'un sourire, gardant un oeil sur la place, grouillante, encore bloquée par deux fourgons de police.
"Je suis musulman. Ne pas confondre avec jihadiste", peut-on lire sur l'un des nombreux messages laissés sur le sol de l'avenue, l'artère principale du quartier, où vivent beaucoup d'immigrés maghrébins et pakistanais.
"Les musulmans, on les met tous dans le même sac, ça n'est pas juste", regrette Montse.
"Moi aussi, je viens d'ailleurs, on ne peut pas juger les personnes ainsi", acquiesce Goldy, qui, à l'instar d'autres commerçants, reconnaît ressentir encore une forme d'angoisse.
Pour les aider, la mairie a mis à leur disposition un service d'assistance psychologique, qui soigne le stress post-traumatique, explique Angel, en tendant le dépliant remis par les autorités.
"Parler, c'est ce qu'il y a de mieux à faire. Garder ça pour soi, ça craint", dit-il.