L'instance chargée d'organiser les élections a confirmé lundi soir que Saied, 61 ans, avait été élu avec 2,8 millions de voix, soit 72,71% des suffrages, et une participation en nette hausse à 55%. Une victoire "éclatante", titrait dès le matin le quotidien arabophone Chourouk.
Qui l'eut cru il y a encore deux mois, quand ce néophyte en politique, sans structure partisane, menait une campagne de terrain low-cost peu visible et sous-estimée?
"Il a été élu très confortablement", constate le politologue Selim Kharrat, notant qu'il a obtenu un nombre de voix comparable à la totalité des suffrages engrangés par l'ensemble des députés aux législatives.
Ce score "est un message au Parlement", poursuit Kharrat, qui dirige l'ONG de suivi du Parlement Al Bawsala: "les électeurs ont opté pour un projet de moralisation de la vie politique, de lutte contre la corruption et qui donne plus de pouvoir aux entités locales".
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Pour lui, la principale différence entre les deux finalistes repose sur leurs "socles moraux": "Nabil Karoui représente la classe politique dirigeante qui verse dans la compromission et qui utilise argent et pouvoir pour un intérêt personnel".
L'homme d'affaires, fondateur de la principale chaîne privée tunisienne Nessma TV, qui avait fait de la lutte contre la pauvreté son cheval de bataille, est associé en affaires à l'ex-Premier ministre italien Silvio Berlusconi et reste poursuivi pour fraude fiscale et blanchiment d'argent.
Nabil Karoui, qui a attribué son échec à son incarcération durant 49 jours, en pleine campagne, a félicité son rival, lui promettant l'appui de son parti Qalb Tounes, arrivé deuxième aux législatives du 6 octobre.
Au-delà du vote sanction du premier tour qui avait chassé tous les dirigeants sortants, les scores enregistrés par Kais Saied, notamment chez les jeunes -plus de 90% chez les 18-25 ans selon un institut de sondage-, témoignent d'une adhésion à son projet.
Celui-ci se revendique dans la lignée de la révolution de 2011 qui chassa du pouvoir Zine el Abidine Ben Ali et le premier cercle de son clan corrompu.
Le conservatisme sociétal, assumé du futur président, a été un sujet de débat durant la campagne. Mais son positionnement, globalement hors normes, a fait voler en éclat les clivages traditionnels entre progressistes et islamistes.
Derrière son discours, souverainiste et ses appels à une réforme radicale du régime politique, se sont rangés des formations de gauche, nationaliste arabe tout comme le parti d'inspiration islamiste Ennahdha, principal bloc au Parlement (52 sièges).
Après des messages de félicitations venus de plusieurs pays arabes, le président français Emmanuel Macron a salué la "mobilisation démocratique" et fait part à son homologue tunisien de sa "volonté" d'"amplifier le partenariat" entre les deux pays.
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Ce mandat clair lui donne désormais une forte légitimité et une lourde responsabilité pour répondre à une population aux attentes aiguisées, après avoir vu les espoirs de la révolution déçus.
Reste à savoir s'il parviendra à faire passer ses propositions sans parti pour les relayer au Parlement, où se situe l'essentiel du pouvoir en vertu de la Constitution de 2014.
La nouvelle assemblée sera composée d'une multitude de partis divergents, ce qui augure de négociations ardues pour former un gouvernement -cette tâche doit être confiée à Ennahdha courant novembre- alors que s'accumulent les urgences socio-économiques.
"La Tunisie est désormais face à l'incertitude", souligne Michael Ayari, analyste pour le centre de résolution de conflits Crisis Group. "Personne ne sait comment Saied va utiliser sa forte légitimité, qui incarne une volonté populaire de changement."
Vu la difficulté de faire passer les réformes qu'il prône via un Parlement fragmenté, il pourrait se retrouver isolé au palais de Carthage. Ou encore se saisir des textes qu'il connait parfaitement pour prendre les initiatives législatives que lui accorde la Constitution.
Saied devrait prêter serment d'ici fin octobre, selon la présidence. Il doit prendre la relève du chef de l'Etat par intérim Mohammed Ennaceur, nommé pour 90 jours après le décès en juillet du premier président élu démocratiquement au suffrage universel, Béji Caïd Essebsi.