Ukraine: évacuations massives à Kramatorsk, la «zone létale» des drones FPV

De nouvelles recrues participent à un exercice d'entraînement dans un lieu tenu secret, près de la ligne de front dans la région de Zaporijia, en pleine invasion russe de l'Ukraine

De nouvelles recrues participent à un exercice d'entraînement dans un lieu tenu secret, près de la ligne de front dans la région de Zaporijia, en pleine invasion russe de l'Ukraine. AFP or licensors

Angela Bolonze semble perdue, les yeux fixés sur une montagne de sacs plastiques débordant d’habits, empilés à même le sol, tout juste sortis d’un camion d’évacuation. Cette mère de famille vient de quitter sa maison dans un village de l’agglomération de Kramatorsk, dans l’est de l’Ukraine.

Le 12/10/2025 à 07h30

Face à l’intensification des frappes russes, les autorités ont ordonné l’évacuation des familles avec enfants dans certains quartiers du sud-est de cette cité, qui comptait 150.000 habitants avant le déclenchement de l’invasion russe en 2022 et a depuis perdu les deux tiers de sa population.

Kramatorsk, brièvement occupée par des séparatistes prorusses en 2014 avant d’être reprise par Kiev, est devenue dans cette guerre le centre logistique ukrainien du front de Donetsk, épicentre des combats.

La ville incarne aussi la ténacité ukrainienne dans l’Est, et l’annonce des évacuations est un choc pour ses habitants, alors que le front n’est plus qu’à une vingtaine de kilomètres.

«Quand l’évacuation a été annoncée, les gens ont commencé à partir», raconte à l’AFP Angela, 34 ans, d’une voix éteinte.

La Russie contrôle près de 80% de la région de Donetsk, selon des estimations, et cherche à s’emparer de Kramatorsk, l’un des derniers remparts protégeant les vastes plaines environnantes, difficiles à défendre.

Si Angela a décidé de fuir avec ses deux filles de cinq et dix ans, c’est parce que les drones explosifs russes FPV ont récemment commencé à survoler les environs. Près de chez elle, «deux voitures civiles et une militaire ont été incendiées par les drones», dit-elle.

«Très dur»

Ces derniers mois, la Russie cherche à saper la logistique de l’armée ukrainienne dans les villes de Droujkivka et Kostiantynivka — postes avancés protégeant Kramatorsk — par des assauts de drones incessants.

Une intensification des combats est attendue à l’approche de l’hiver, lorsque les températures négatives épuiseront les batteries et réduiront la portée des drones explosifs FPV russes.

Le 5 octobre, un de ces engins, guidé par un câble optique de plusieurs dizaines de kilomètres, a frappé un véhicule dans le centre de Kramatorsk — une première pour la ville.

Si les rues restent calmes, la tension en périphérie est palpable. En direction de Droujkivka, à une dizaine de kilomètres au sud, les voitures foncent sur une route désormais recouverte de filets anti-drones.

Sur le bas-côté, des militaires s’affairent autour d’un blindé au pare-chocs pulvérisé par un drone. Sur cet axe, s’arrêter peut être fatal.

Dans le centre de stabilisation qui prend en charge les soldats blessés de la zone, les médecins peinent à se frayer un chemin parmi les patients.

Le pantalon aux chevilles, un grand gaillard lance une volée de jurons et quelques blagues pour détendre l’atmosphère tandis qu’un médecin retire un éclat d’obus de sa fesse ensanglantée.

À côté, Iouriï, allongé sous une couverture de survie, esquisse un sourire douloureux. Grièvement blessé, il murmure à l’AFP: «On revenait de notre position quand un FPV nous a touchés… Comme partout, c’est dur. Très dur».

«Zone létale»

«La grande majorité des blessures sont dues aux FPV», glisse Serguiï, un médecin de 34 ans.

Avec l’augmentation de la portée des drones, la ligne de front est devenue une large bande — surnommée «zone létale» — s’étendant sur une vingtaine de kilomètres.

Les fantassins restent parfois coincés sur leurs positions pendant des mois, approvisionnés en munitions et nourriture par drone.

«Par exemple, un gars avait une blessure à la jambe qui s’est complètement nécrosée», dit Serguiï en tirant sur sa cigarette, les yeux cernés.

Selon un soldat de la zone souhaitant rester anonyme, les relèves de troupes sont devenues plus dangereuses encore que les positions de combat.

Les rotations se font désormais à pied: les soldats parcourent une dizaine de kilomètres sous des couvertures spéciales qui leur permettent d’échapper aux caméras thermiques des drones ennemis, omniprésents dans le ciel.

De plus, des groupes d’infiltration russes cherchent à pénétrer profondément dans les lignes, déguisés en soldats ukrainiens ou en civils, pour tendre des embuscades. La ligne de front devient ainsi de plus en plus floue.

«C’est décourageant quand tu te fais canarder par des Russes alors que tu tentes de rejoindre ta position», dit le soldat.

Alors que la Russie poursuit son avancée, la municipalité de Sloviansk — autre grand bastion du Donbass — a également appelé jeudi les habitants vulnérables à évacuer face aux frappes.

Angela Bolonze a laissé derrière elle sa mère, son frère aîné et sa belle-mère, qui ont refusé de quitter la ferme familiale. Elle rejoindra sa sœur à Zaporijjia, une ville du sud qui, cette même nuit, a subi une intense attaque de drones, de missiles et de bombes planantes russes.

Par Le360 (avec AFP)
Le 12/10/2025 à 07h30