«Nous pouvons dire que les signaux que nous entendons dans les négociations sont positifs, mais ils ne font pas oublier les explosions ou les obus russes», a affirmé hier, mardi 29 mars 2022 Volodymyr Zelensky dans un message-vidéo.
Et après environ cinq semaines de guerre, des milliers de victimes et des millions de réfugiés, la prudence était également de mise au sein de l'état-major ukrainien.
«Le soi-disant "retrait des troupes", est probablement une rotation d'unités individuelles, qui vise à tromper le commandement militaire des Forces armées ukrainiennes», a-t-il jugé dans un communiqué mardi soir.
Les sirènes d'alerte ont été entendues à plusieurs reprises dans la nuit de mardi à mercredi à Kiev mais aussi autour de la ville, signe de l'inquiétude qui règne toujours dans la capitale ukrainienne après les annonces des forces russes.
A l'issue de pourparlers à Istanbul, le vice-ministre de la Défense russe Alexandre Fomine a annoncé mardi que Moscou allait «réduire radicalement (son) activité militaire en direction de Kiev et Tcherniguiv», dans le nord du pays.
Mais pour le porte-parole du ministère américain de la Défense, John Kirby, il ne s'agit que d'un «repositionnement» et non d'un «vrai retrait».
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«Il est très probable que la Russie cherche à transférer sa puissance de frappe depuis le nord vers les régions (séparatistes) du Donetsk et de Lougansk à l’est», a jugé de son côté le ministère britannique de la Défense sur son compte Twitter.
Ce qu'a confirmé le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou. La Russie a atteint son «objectif»: «le potentiel militaire des forces armées ukrainiennes a été réduit de manière significative, ce qui permet de concentrer l'attention et les efforts sur le but principal, la libération du Donbass».
Juger sur pièceEt pour les alliés occidentaux de Kiev, il faudra surtout juger sur pièce.
«On verra s'ils tiennent parole», a dit hier, mardi, le président américain Joe Biden à des journalistes, peu après s'être entretenu avec les dirigeants français, britannique, allemand et italien. «Il semble y avoir un consensus sur le fait qu'il faut voir ce qu'ils ont à offrir», a-t-il ajouté.
A Londres, un porte-parole du Premier ministre Boris Johnson n'a pas dit autre chose. Londres jugera Poutine et son régime sur ses actes, pas ses paroles», a-t-il affirmé. Le Royaume-Uni organisera jeudi une conférence de donateurs pour mobiliser davantage d'armes létales pour l'Ukraine.
Auparavant, ces dirigeants occidentaux avaient mis en garde contre tout «relâchement» face à l'invasion russe, et exprimé «leur détermination à continuer d'accroître le coût payé par la Russie» pour son attaque brutale de l'Ukraine.
Le département américain a de fait averti hier, mardi, les citoyens américains qu'ils risquaient d'être arbitrairement arrêtés en Russie, les appelant à ne pas s'y rendre ou à quitter le pays immédiatement.
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Les bourses mondiales se sont néanmoins montrées pleines d'espoir, clôturant en nette hausse hier, mardi, après ces annonces russes, qui ont fait reculer le pétrole et bondir le rouble.
Après trois heures de négociations à Istanbul, le chef de la délégation russe et représentant du Kremlin, Vladimir Medinski, a fait état de «discussions substantielles» et dit que les propositions «claires» de Kiev en vue d'un accord seraient «étudiées très prochainement et soumises au président» Vladimir Poutine.
Le négociateur ukrainien David Arakhamia a expliqué de son côté que Kiev réclamait un «accord international» signé par plusieurs pays garants qui «agiront de façon analogue à l'article 5 de l’Otan et même de façon plus ferme».
L'article 5 du traité de l'Alliance atlantique stipule qu'une attaque contre l'un de ses membres est une attaque contre tous.
«Temporairement exclus»David Arakhamia a cité, parmi les pays que l'Ukraine voudrait avoir comme garants les Etats-Unis, la Chine, la France et le Royaume-Uni -membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU- mais aussi la Turquie, l'Allemagne, la Pologne et Israël.
Kiev demande également que cet accord n'interdise en rien l'entrée de l'Ukraine dans l'UE, et propose que la Crimée et les territoires du Donbass sous contrôle des séparatistes prorusses en soient «temporairement exclus».
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Sur le terrain, l'accalmie espérée se fait attendre. Une frappe russe a touché hier matin le bâtiment de l'administration régionale de Mykolaïv, ville proche d'Odessa qui connaissait pourtant un répit dans les bombardements ces derniers jours.
Au moins douze personnes sont mortes et 33 autres blessées, selon un nouveau bilan donné par le président Zelensky lors d'une intervention en visioconférence devant le Parlement danois. Des journalistes de l'AFP ont vu les secours sortir deux corps des gravats, et le bâtiment éventré sur toute sa hauteur.
La situation reste également très difficile autour de Kiev où la population fuit les villages à l'est de la capitale, où les habitants assurent que les forces russes continuent d'y mener une occupation brutale.
«Les soldats russes sont venus et ont demandé s'ils pouvaient "héberger" cinq ou six personnes pour la nuit», a raconté Valerii Koriachenko, 50 ans, la lèvre inférieure tremblant d'émotion.
«Ils ont levé le cran de sécurité du fusil et nous ont "poliment demandé" de partir n'importe où, en disant qu'ils vivaient là maintenant», relate-t-il, ajoutant qu'ils leur ont même pris «chaussettes et sous-vêtements».
Couloirs humanitairesDans le sud, trois couloirs humanitaires ont été mis en place hier, mardi, notamment depuis la ville assiégée de Marioupol, après une suspension lundi dernier des évacuations de civils, a indiqué la vice-Première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk sur Telegram.
Volodymyr Zelensky a accusé mardi les Russes de «crime contre l’humanité» à Marioupol, cité portuaire stratégique sur la mer d'Azov dont l'armée russe tente de s'emparer depuis fin février, où environ 160.000 personnes seraient toujours coincées.
«Ils font même sauter des abris alors qu'ils savent pertinemment que des civils s'y cachent, des femmes, des enfants et des vieillards», a-t-il ajouté.
Mariia Tsymmerman, 38 ans, a fui Marioupol avec sa famille il y a deux semaines. «Nous avons enterré nos voisins, nous avons vu la mort partout, même mes enfants l'ont vue», jure cette habitante.
Selon Tetyana Lomakina, conseillère de la présidence ukrainienne, «environ 5.000 personnes» y ont été enterrées, mais il pourrait y avoir en réalité «autour de 10.000 morts».
A la suite d'un échange téléphonique avec le président français Emmanuel Macron, Vladimir Poutine a posé comme condition à une évacuation des civils de Marioupol la reddition des forces ukrainiennes qui défendent la ville.
Autre sujet de préoccupation: la situation des centrales nucléaires de l'Ukraine. L'Agence internationale de l'énergie atomique a annoncé que son directeur général se trouvait en Ukraine «pour des discussions avec des responsables du gouvernement» afin de fournir «une assistance technique» garantissant la sécurité de ces installations.
Et à l'ONU, la Russie a été accusée hier, mardi, par les Etats-Unis devant le Conseil de sécurité d'avoir provoqué une «crise alimentaire mondiale», voire de faire courir un risque de «famine», en ayant déclenché une guerre contre l'Ukraine, le «grenier à blé de l’Europe».
L'état-major ukrainien a affirmé dans la nuit de mardi à mercredi qu'au moins 90 cargos transportant de la nourriture, y compris des céréales, avaient été bloqués par les forces russes en Mer Noire.