Lui n'y a jamais mis les pieds, question de temps. Le plus grand centre islamique des Etats-Unis -pharaonique construction financée par la Turquie avec en son coeur sa mosquée, bijou d'architecture ottomane- s'est implanté dans sa ville du Maryland, à 30 minutes de la capitale américaine.
En inaugurant le majestueux édifice il y a un mois, le président turc Recep Tayyip Erdogan consacrait la moitié de son discours à dénoncer "l'atmosphère anti-musulmane" qui règne aux Etats-Unis en ces temps d'élections, dominés par le républicain Donald Trump, enclin à fermer les frontières aux musulmans du monde entier. Et jurait que ce centre pouvait inverser la tendance.
"Il a raison", s'avance Nabill Abdulle, qui se décrit comme un novice en matière religieuse. "Les chrétiens, en général, ne connaissent pas de musulmans personnellement. C'est une affaire de manque de compréhension", explique le jeune homme de 24 ans avant de prier.
Sa mosquée, à cinq minutes seulement de la nouvelle, a ouvert en 1994 dans un bâtiment de plain-pied en brique rouge qui abrite également l'association des musulmans du comité de Prince George, et continue de drainer une bonne partie de la communauté musulmane de Lanham.
"Nous parlons beaucoup d'islamophobie car c'est un problème qui s'aggrave", regrette le directeur de l'association, Ahmad Azzaari, après avoir longuement peigné son épaisse barbe poivre et sel. "En parler est donc l'une de nos principales activités depuis près de six mois maintenant".
L'association, explique-t-il, passe des heures à sensibiliser les fidèles.
Le but est d'apprendre à "pratiquer l'islam d'une façon qui montrera aux Américains que nous sommes Américains comme eux, que nous aimons ce pays, que nous respectons les lois de ce pays, que nous aimons cette terre", ajoute-t-il.
En clair, Ahmad Azzaari incite ses fidèles à "clarifier l'image de l'islam" et à faire preuve de patriotisme, conscient que les musulmans doivent en permanence montrer patte blanche. Et observe avec intérêt la "montée en puissance" du nouveau voisin "pour prendre son rôle" de passerelle entre les communautés.
La mosquée flambant neuve, située en pleine zone résidentielle et entourée de maisons cossues ne s'est attirée aucune manifestation ou hostilité, là où des projets bien moins ambitieux dans les environs ont suscité de violentes réactions.
Sûrement car il s'agit d'un projet du gouvernement turc, "complètement différent d'une construction de mosquée par des musulmans locaux", explique Ahmad Azzaari.
Le centre lui-même est une sorte de village agrémenté de jardins, pensé autant pour les locaux que les touristes.
Musée sur les arts islamiques, bains turcs, piscine olympique, terrains de sport, bibliothèque... tout est en place pour attirer le plus grand nombre.
Il s'agit d'une des forces du centre, se félicite Ahmet Aydilek, secrétaire général du "Diyanet", à la sortie de la mosquée dont les poutres en marbre, calligraphies incrustées de lettres d'or et vitraux rappellent le faste de l'âge d'or ottoman. La lutte contre l'islamophobie "est clairement un des objectifs" du centre, explique le jeune homme glabre au regard bleu clair.
Pour cela, la mosquée, dont le ruban d'inauguration a été coupé début avril mais qui est en réalité accessible depuis 10 mois, a démarré une véritable opération séduction. Pas moins de 400 visites ont été offertes à des groupes de diverses croyances ces six derniers mois.
Il multiplie également les "activités inter-religieuses" en invitant les membres des églises ou synagogues locales, et met à disposition ses divers équipements.
Tout cela "envoie le bon message", assure Ahmet Aydilek, qui souhaite montrer "le vrai visage de l'islam". Lui en est sûr: depuis l'ouverture de la mosquée, les regards changent.
"Tous ces messages islamophobes, intolérants et de haine surtout envoyés par les politiciens interviennent durant un cycle électoral", rappelle-t-il, espérant que la défiance se dissipera dans quelques mois.
Les riverains qui vivent tout autour du centre se disent eux enthousiastes.
"Je n'ai aucun problème. J'ai une super vue", sourit Angie Romero, 47 ans, dont le salon donne sur les deux minarets de la mosquée mais qui n'a toutefois jamais entrepris de traverser la rue pour aller la visiter.
"C'est superbe pour le tourisme mais également pour avoir une situation plus inter-religieuse", se réjouit de son côté Louise Werner, retraitée estimant que le centre pourrait "aider à régler le problème" de l'islamophobie.
Quant à Donald Trump, reprend le secrétaire général du Diyanet, "il est le bienvenu". Sa présence "enverrait le bon message aux musulmans" et pourrait être l'occasion d'enterrer la hache de guerre.