La manœuvre du gouvernement de Mariano Rajoy, sans précédent et d'une ampleur inattendue, a immédiatement été suivie d'une manifestation indépendantiste réunissant 450.000 personnes samedi après-midi à Barcelone, selon la police locale.
Carles Puigdemont, qui a pris la tête du cortège, a réagi dans la soirée par une déclaration télévisée en catalan, espagnol et anglais, dans laquelle il a accusé le gouvernement espagnol de lancer "la pire attaque aux institutions et au peuple de Catalogne depuis les décrets du dictateur militaire Francisco Franco".
Et s'adressant en anglais aux Européens, il a assuré que les "valeurs européennes" étaient "en danger". Il a prévenu les Espagnols qu'ils pouvaient s'attendre "à d'autres abus".
Auparavant M. Rajoy avait invoqué l'article 155 de la Constitution, demandant au Sénat de lui confier la faculté de dissoudre le parlement catalan, afin de "convoquer des élections dans un délai maximum de six mois".
M. Rajoy souhaite aussi démettre le gouvernement catalan de ses fonctions, qui seront exercées "par les ministères (nationaux)" pendant "cette situation exceptionnelle".
"Ni l'autonomie catalane ni la gouvernance autonome ne sont suspendues", a affirmé Mariano Rajoy, comme pour rassurer des Catalans très attachés à leur autonomie récupérée après la fin de la dictature.
Mais la liste des mesures envisagées montre que Madrid veut prendre toutes les manettes de l'administration de la région, depuis la police autonome jusqu'à la radio et la télévision publiques, et mettre le parlement régional sous tutelle.
La présidente du parlement régional Carme Forcadell a dénoncé un "coup d'Etat". Et M. Puigdemont a demandé la tenue d'une séance plénière pour que les parlementaires décident de la réponse à apporter à ces mesures.
Jeudi il avait menacé de convoquer le Parlement régional pour proclamer l'indépendance si le gouvernement déclenchait l'article 155.
Prudent, M. Puigdemont n'a cependant pas prononcé une seule fois le mot "indépendance" dans son allocution.
Les mesures demandées par le gouvernement espagnol devraient être approuvées d'ici le 27 octobre au Sénat, où le parti de M. Rajoy est majoritaire. Elles sont soutenues par le parti socialiste (PSOE), principale force d'opposition, et les centristes de Ciudadanos.
Cette prise en main risque de soulever les foules en Catalogne, où la population est pourtant divisée sur la question de l'indépendance.
"Ce sera le chaos à cause de la capacité de sabotage des fonctionnaires... Ça va ressembler à une administration coloniale et les indépendantistes vont présenter ça comme une occupation", a déclaré à l'AFP Oriol Bartomeus, professeur de Sciences politiques à l'Université autonome de Barcelone.
La réaction en Catalogne ne s'est pas fait attendre.
A Barcelone, plusieurs centaines de milliers de personnes convoquées à l'origine pour réclamer la libération de deux leaders indépendantistes emprisonnés pour sédition, ont crié "liberté" et "indépendance".
"Le sentiment espagnol a disparu. Le peuple catalan est complètement déconnecté des institutions espagnoles", assurait Ramon Millol, un mécanicien de 45 ans, tandis que les manifestants faisaient des doigts d'honneur aux hélicoptères de la police.
Le FC Barcelone a de son côté dit soutenir "les institutions démocratiques de Catalogne choisies par ses citoyens". "Nous voulons exprimer notre soutien et notre solidarité à l'égard de tous les secteurs affectés", a déclaré le président du club Josep Maria Bartomeu devant ses "socios" (supporters-actionnaires) divisés sur la question de l'indépendance.
Avant la décision du gouvernement, le roi Felipe VI avait assuré vendredi que l'Etat saurait faire face à cette "tentative inacceptable de sécession (...) avec ses institutions démocratiques légitimes".
M. Puigdemont affirme avoir un mandat pour faire sécession, après avoir organisé un référendum d'autodétermination interdit par la justice, un processus déclenché en novembre 2015 avec pour objectif d'instaurer une république indépendante au plus tard en 2017.
D'après les séparatistes, plus de deux millions de Catalans, soit 43% de l'électorat, ont voté à 90% oui à l'indépendance malgré des interventions parfois violentes de la police pour les en empêcher.
L'aile dure de la coalition pousse Carles Puigdemont à consommer la rupture mais cet ancien journaliste de 54 ans temporise devant l'impact économique de la crise et le manque d'appuis à l'étranger.
La France et l'Allemagne ont fermement condamné ses efforts de sécession et l'UE répète qu'elle ne reconnaîtra pas l'indépendance de la Catalogne.
La crise en Catalogne peut mener à une "dislocation dangereuse", a mis en garde le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, en espérant que les élections annoncées par Madrid permettent de "clarifier la situation".
Emmenées par les deux plus grandes banques catalanes, Caixabank et Sabadell, près de 1.200 entreprises ont transféré leur siège social hors de Catalogne, les investissements sont suspendus et les réservations d'hôtel chutent dans la région la plus touristique d'Espagne.