La brève annonce télévisée de Hariri a été accueillie par les vivats de la foule qui l'écoutait en direct sur plusieurs lieux de rassemblements, avant que ne retentisse l'hymne national repris à pleins poumons par les manifestants.
Des feux d'artifice ont été tirés dans Beyrouth tandis que des voitures ont sillonné la ville tous klaxons hurlants en signe de victoire.
Hariri, 49 ans, a assuré avoir voulu répondre "à la volonté de nombreux Libanais qui sont descendus dans la rue pour réclamer le changement" et appelé "tous les Libanais (...) à protéger la paix civile".
A Saïda, la ville du sud dont est originaire Hariri, la foule a dansé la dabké, assortie de distribution de café et de jus d'orange.
Brandissant des ballons rouges, verts et blancs -les couleurs du drapeau libanais-, une foule en liesse a envahi le coeur de Tripoli, la grande ville du nord surnommée "la mariée de la révolution" pour l'enthousiasme de ses habitants dans la contestation.
"Notre révolution n'est pas terminée!", a chanté la foule, tout en saluant son "exploit".
La démission du Premier ministre, remise au président Michel Aoun, ouvre une ère d'incertitude: le gouvernement qu'il dirigeait avait été formé en janvier après huit mois de tractations entre les innombrables composantes de la vie politique et confessionnelle libanaise.
Après près de deux semaines d'une révolte populaire sans précédent au Liban, les manifestants ont obtenu gain de cause sur une de leurs principales revendications. Mais leur colère vise l'ensemble de la classe politique, jugée unanimement incompétente et corrompue.
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Le pays reste quasiment paralysé par des barrages routiers bloquant les principales entrées de Beyrouth. Banques, écoles et université sont fermées depuis le début du mouvement.
L'armée a été déployée mais reste neutre malgré quelques incidents.
Trente ans après la fin de la guerre civile, la population souffre toujours de pénuries chroniques d'eau et d'électricité. Plus d'un quart des Libanais vit sous le seuil de pauvreté et le pays est classé parmi les plus corrompus du monde.
"Tous veut dire tous", a de nouveau scandé la foule après la démission de Hariri.
Ce dernier avait annoncé le 21 octobre des réformes, qui n'avaient pas convaincu, dont des mesures anti-corruption et budget sans nouveaux impôts.
Le chef du puissant Hezbollah pro-iranien, Hassan Nasrallah, qui dominait avec ses alliés le gouvernement, s'était opposé à une démission collective.
La colère populaire avait explosé le 17 octobre après l'annonce d'une nouvelle taxe sur les appels via la messagerie WhatsApp. L'annulation de la mesure n'a pas empêché la révolte de gagner l'ensemble du pays.
Dimanche, dans une démonstration inédite d'unité, les manifestants ont réussi à former une chaîne humaine du nord au sud, sur 170 km de long.
Et les manifestants sont restés fidèles aux mêmes slogans: "Révolution, révolution!, "Tous, cela veut dire tous", et "Le peuple veut la chute du régime".
La démission de Hariri intervient alors que la situation s'est tendue sur le terrain, malgré des rassemblements restés globalement festifs.
Juste avant son discours, des heurts ont éclaté à Beyrouth où des dizaines d'assaillants ont détruit les tentes érigées par les manifestants attaqués à coups de bâtons.
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Selon la presse libanaise, Paris et Washington étaient notamment intervenues auprès de Hariri pour lui demander de rester à son poste, par crainte d'un regain d'influence du Hezbollah à la faveur d'un chamboulement politique.
Dans une première réaction, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a d'ailleurs estimé que la démission de Hariri rendait "la crise encore plus grave".
Le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo a appelé "les dirigeants politiques libanais à faciliter, de manière urgente, la formation d'un nouveau gouvernement", ajoutant que "les manifestations pacifiques et les démonstrations d'unité nationale des 13 derniers jours avaient envoyé un message clair".
Même message du côté du patron de l'ONU, Antonio Guterres, qui a lui aussi appelé "tous les acteurs politiques à chercher une solution (...) pour répondre aux aspirations du peuple", et au "respect des droits d'expression et de rassemblements pacifiques".
C'est la troisième fois qu'un gouvernement dirigé par Hariri tombe depuis 2009. Longtemps soutenu par l'Arabie saoudite, il est le fils du milliardaire et ex-Premier ministre Rafic Hariri assassiné dans un attentat à Beyrouth en 2005.
"Nous avons commencé avec Hariri et nous allons continuer avec Aoun et (Nabih) Berri", le chef du Parlement, a hurlé un manifestant au micro d'une télévision locale.