Inconfortable position, ce 17 octobre, en Commission Pêche du Parlement, pour le représentant de la Commission européenne, sommé par les eurodéputés de dévoiler la stratégie de son institution... C’est que les enjeux sont particulièrement importants pour les pays de l’Union européenne qui bénéficient depuis tant d’années des eaux poissonneuses des côtes marocaines.
En matière de pêche, l’Europe a commencé à coopérer avec le Maroc dans le sillage de l’adhésion de l’Espagne à la CEE, préservant la présence des bateaux espagnols dans cette zone. Ce partenariat a donné lieu à une série d’accords, jusqu’au plus récent– en 2019– offrant à 128 navires battant pavillon de dix États membres (l’Espagne, le Portugal, la France, l’Allemagne, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, les Pays-Bas, l’Irlande, l’Italie) le droit, contre une contribution annuelle moyenne d’environ 40 millions d’euros, à pêcher de larges quantités de poissons, assurant des milliers d’emplois directs et indirects en Europe.
Principal bénéficiaire du partenariat, avec 92 navires, l’Espagne tire 20% de sa production totale des pêches marocaines, et s’inquiète singulièrement de «l’après 4 octobre». Ce sont donc les députés espagnols -la présidente de la Commission Pêche, élue de la région de Cadix, en tête- qui ont mis le plus de pression sur la Commission, l’enjoignant à résoudre rapidement le casse-tête juridique créé par les juges de Luxembourg. Quel plan B? Celui que redoute l’UE, c’est bien le plan bilatéral, celui, ou plutôt ceux qui s’offrent à Rabat… alors qu’à Bruxelles, on apprend la prolongation de l’accord de pêche, initialement signé en 2020, avec Moscou.
La Russie! Quel camouflet pour une Europe qui, depuis l’attaque de l’Ukraine par les troupes russes, a fait de Vladimir Poutine l’ennemi public numéro Un et a conduit contre lui treize trains de sanctions, lesquelles ont sans doute plus coûté aux États membres qu’à Moscou.
Selon le FMI, l’économie russe devrait croître trois fois plus vite que celle de l’Union européenne cette année (3,2% contre 1,1%), après avoir connu une croissance six fois plus importante l’année dernière (3,6% contre 0,6%). Si les échanges commerciaux entre la Russie et l’UE n’ont jamais été aussi faibles (entre le premier trimestre 2022 et le deuxième trimestre 2024, la valeur des importations venues de Russie a diminué de 87%), l’arme économique brandie sur le président russe ne pouvait être efficace qu’en étant largement partagée. Or, les sanctions venues de Bruxelles ont été systématiquement contournées par une augmentation du commerce avec des pays tiers, et le plus facilement du monde, puisqu’au-delà des 27, «l’Occident des sanctions» ne représente que 12% de la population mondiale.
«Les perspectives d’un “avenir prometteur” de la coopération maroco-russe dans l’halieutique peuvent servir de bonne leçon à l’Union européenne.»
Comment pouvait-il en être autrement? «L’Occident a découvert qu’on ne l’aime pas», résume brutalement Emmanuel Todd, raillant la culture narcissique des Occidentaux et l’aveuglement dont ils savent faire preuve dans leur relation au reste du monde. De ce point de vue, assurément, les perspectives d’un «avenir prometteur» de la coopération maroco-russe dans l’halieutique peuvent servir de bonne leçon à Narcisse.
Et la Chine? C’est bien à la mesure du mastodonte qu’est devenue la pêche chinoise -plus grande flotte du monde, y compris de pêche hauturière, avec plus de 2.700 navires, et premier importateur mondial de farine de poisson- et à son influence sur les pêcheries européennes, que l’Europe tout entière (d’une flotte hauturière d’à peine 259 navires) devrait penser et préserver, à tout prix, son partenariat halieutique avec le Maroc.
Sans limites financières -la Chine subventionne, sous toutes les formes, ses flottes opérant dans les zones économiques exclusives et en haute mer (en l’absence de chiffres officiels, Bruxelles estime les aides chinoises à 20% des subventions à la pêche dans le monde)-, sans préoccupations sociales (en témoignent les conditions de travail inhumaines à bord de navires de pêche chinois) ni environnementales (la Chine détient également une place de leader de la pêche illicite), Pékin mène une concurrence déloyale sur toutes les mers -et particulièrement l’Atlantique, au large d’une dizaine de pays d’Afrique de l’Ouest (Ghana, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Mauritanie, Sénégal, Sierre Leone, Liberia, Nigeria, Côte d’Ivoire…), mettant en péril les stocks– de poisson et de farine de poisson- et la sécurité alimentaire de l’Afrique.
Il y a tout juste un an, un rapport du Parlement européen dénonçait ces pratiques, et encourageait, en réponse à la surpêche et à la pression sur les réserves, la mise en place de plans de gestion, y compris régionaux, dans les pays avec lesquels l’UE a des accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable.
Proverbe chinois: «Quand une bécasse et une huître sont aux prises, c’est le pêcheur qui en tire profit»… Entre CJUE et institutions politiques de l’UE, quel avenir pour le pêcheur européen?