Les magistrats sont en colère contre Mustapha Ramid et entendent le faire savoir. Habituellement discrets, même quand ils font l’objet des pires critiques, les membres de ce corps professionnel, tenu à un devoir de réserve, ont aujourd'hui le sentiment d’avoir été trahis. Avocat chevronné, ancien ministre de la Justice (et des libertés), Mustapha Ramid connaît pourtant bien la maison. L’écart dont il vient de se rendre coupable, en tirant à boulets rouges sur la Justice, dans un post Facebook sur l’affaire Hamieddine, est très grave.
Mais les faits, d'abord: lundi dernier, le juge d’instruction près la Cour d’appel de Fès a décidé de poursuivre Abdelali Hamieddine, un dirigeant au sein du Parti de la Justice et du Développement, pour homicide volontaire suite à l'assassinat, à Fès en 1993, d'un étudiant, Benaïssa Aït El Jid, près de la faculté des sciences juridiques Dar El Mehraz à Fès. L’affaire avait déjà été jugée mais de nouveaux éléments apportés au dossier plaidaient désormais pour sa réouverture. Mais Mustapha Ramid, au demeurant du même bord politique et idéologique que Hamieddine, a prestement décidé de voler au secours de son camarade de parti....Sur Facebook, donc: "on ne peut juger la même personne deux fois pour les mêmes faits, une fois qu'un jugement définitif a été prononcé", a-t-il argumenté dans son post, ajoutant, sur un ton particulièrement acerbe: "un tel procédé n'honore guère notre pays et sert avant tout le nihilisme qui se donne, ainsi, la preuve d'avoir raison. Autant je suis en colère contre une telle bêtise, autant j'espère qu'une telle déviation va cesser lors de la prochaine étape judiciaire».
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Au sein de la profession des magistrats, ces mots, s'ils ont été prestement postés sur un réseau social, sont toutefois bien calculés et passent très mal, surtout provenant d’un homme de droit. «M. Ramid n’est pas sans savoir que nul ne peut juger si une poursuite peut, ou pas, être lancée sauf la Justice. De là à critiquer une telle décision sur la place publique, cela porte atteinte non seulement à l’indépendance de la Justice, mais à tout le corps de la magistrature qu’il y a peu, M. Ramid se disait un des fervents défenseurs», commente ainsi Rachid Abou Meriem, juge d’instruction au Tribunal de première instance de Rabat.
«Si M. Ramid et ceux qui se sont ligués derrière lui estiment que cette poursuite est condamnable, c’est devant la Justice qu’ils doivent porter des recours. Et des recours, la loi en garantit. Contourner de la sorte les procédures légales et s’exprimer de cette manière, et en connaissance de cause, revient à vouloir influer sur le cours d’un cours du procès, à décrédibiliser, voire insulter, la Justice en suggérant qu’elle obéit à des considérations autres que la loi. C’est inadmissible», analyse Abou Meriem.
Ce qui blesse tout particulièrement, ce sont ces qualificatifs employés par Mustapha Ramid: «bêtise» et autre «déviation», dont le sens, en arabe a une portée autrement plus dure. Ce qui choque aussi les magistrats, c’est qu’hier encore, ce même Ramid se targuait d’être l'un des meneurs de la réforme de cette même Justice qu’il descend aujourd'hui en flammes. «M. Ramid sait pertinemment qu’il attaque toute une profession dans son intégrité et qu’il n’en a pas le droit, le seul recours possible étant cette Justice dont il se croit peut-être être au-dessus», insiste Rachid Abou Meriem.
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De son côté, Ilyas Saloub, magistrat à Rabat, est du même avis, comme il l'a déclaré hier: "sa sortie (de Ramid, Ndlr) est, au mieux, irréfléchie. Elle est, au pire, irresponsable », nous a-t-il ainsi confié. «Ce qui est étonnant dans la réaction de Ramid, c'est qu'il sait que déférer Hamieddine devant le tribunal ne veut nullement dire l'inculper et que même si inculpation, ou condamnation il y a, il existe encore d’autres voies de recours», avait pédagogiquement expliqué ce magistrat. Et de préciser que curieusement, ce dossier avait été gelé du temps où Mutapha Ramid se trouvait à la tête du département de la Justice, qui lui était en toute logique subordonnée. Ce dossier n'a pu, en effet, être déterré qu'une fois que le pouvoir judiciaire est devenu indépendant.
Une chose reste sûre: la colère des magistrats n’est pas près de s’apaiser. Le Collectif pour la défense de l’indépendance de la justice, regroupant notamment l’Amicale Hassania des magistrats, l’Association marocaine des femmes juges, l’Association marocaine des magistrats chercheurs et l’Association marocaine des magistrats, prépare une riposte formelle. Ce sera lors d’une conférence de presse prévue ce vendredi 14 décembre à l'hôtel Idou Anfa, à Casablanca.