Tout a commencé hier, lundi 10 decembre, vers 14 heures avec un post sur Facebook, signé Mustapha Ramid, ministre d'Etat en charge des Droits de l'homme, grand avocat et un des ténors du Parti de la Justice et du Développement (PJD –coalition gouvernementale).
Quelques instants auparavant, Abdelali Hamieddine, autre dirigeant du PJD et son intellectuel de référence, venait d'être déféré par le juge d'instruction devant la chambre criminelle, pour sa participation à une affaire d’homicide volontaire.
Sans prendre de gants, oubliant totalement sa charge de ministre d’Etat, et comme dans un grand moment d'oubli, Mustapha Ramid a réagi sur un réseau social. Vite. Certainement trop vite.
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Dans ce post, le ministre déclare que Abdelali Hamieddine "avait déjà été jugé dans l'affaire du (meurtre de) Benaïssa Aït El Jid en 1993, et condamné, avant d'être innocenté, la Justice ayant requalifié les actes dont il s'était rendu coupable, de "dispute ayant entraîné la mort"".
Or, d'après Ramid, "on ne peut juger la même personne deux fois pour les mêmes faits, une fois qu'un jugement définitif a été prononcé".
Il invoque en cela la Convention internationale des droits civiques et politiques. "Un tel procédé n'honore guère notre pays et sert avant tout le nihilisme qui se donne, ainsi, la preuve d'avoir raison", écrit-il. "Autant je suis en colère contre une telle bêtise, autant j'espère qu'une telle déviation va cesser lors de la prochaine étape judiciaire", conclut le ministre à la main décidément bien leste devant son clavier.
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Depuis, tout le PJD s'est ligué derrière lui et le parti l'a même désigné à la tête d'une commission en charge de suivre ce dossier. Mais ne prendre que cette version en considération, c'est, là encore, aller trop vite en besogne.
"M. Ramid connaît trop bien cette affaire, ses tenants et aboutissants, ainsi que sa chronologie. Il sait donc que cette affaire est bien plus complexe que cela", analyse, à froid cette fois-ci, Ilyas Saloub, magistrat à Rabat. "Sa sortie est, au mieux, irréfléchie. Elle est, au pire, irresponsable", tranche-t-il.
Et pour cause, si Abdelali Hamieddine a effectivement été jugé, condamné à deux ans de prison ferme et innocenté dans un premier temps, ce le fut sur la base d'un délit.
On s'en souvient, le scénario qui avait été retenu par le juge, au moment des faits, était celui d'une rixe entre étudiants islamistes, dont Hamieddine, et d'autres, cette fois-ci d’obédience d'extrême-gauche, et auxquels appartenait Benaïssa Aït El Jid, l’étudiant assassiné près de la faculté de droit Dar El Mehrez de Fès. Pris dans la bagarre, la victime a rendu l'âme.
Sauf que voilà: la famille du défunt n'a jamais voulu croire à une telle version, et qu'un témoin oculaire a, depuis, fait surface. Plus encore, d'autres suspects, en état de fuite, ont été entre-temps arrêtés.
Cette affaire remonte à 1993. La famille du défunt, qui n'a jamais lâché prise, a multiplié les recours, et le témoin en question affirme avoir vu Abdelali Hamieddine, éminent membre du PJD, à nouveau inculpé en 2018, non pas se défendre, mais bloquer la victime, à terre, quand un autre lui assénait des coups… A l'aide d'un pavé.
Jugées, les personnes recherchées, une fois arrêtées, avaient, elles, écopé de dix ans de prison ferme.
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"Il est donc tout à fait légal que le dossier soir rouvert. Ce qui est étonnant dans la réaction de Ramid, c'est qu'il sait que déférer. Hamieddine devant le tribunal ne veut nullement dire l'inculper et que même si inculpation, ou condamnation il y a, il existe encore d’autres voies de recours", explique ce magistrat.
"Il s'agit, dans la réaction du ministre, d'une atteinte à l'indépendance de la justice au Maroc et dont il dit être un des fondateurs", résume Ilyas Saloub.
Fait curieux: ce dossier avait été gelé du temps où ce même Ramid était alors à la tête du département de la Justice, qui lui était alors subordonnée. Ce dossier n'a pu, en effet, être déterré qu'une fois que le pouvoir judiciaire est devenu indépendant.
Question: Mustapha Ramid a-t-il été totalement honnête sur cette affaire? A cet étrange comportement, bien des doutes, et c'est peu dire, sont désormais permis.