J’étais encore toute petite -cinq, six ans?- le jour où je me rendis compte que des adultes pouvaient mentir. Je ne me souviens plus de l’occasion -une tante, peut-être, qui affabulait-, mais le sentiment est resté très vif, fait d’étonnement et de déception. Des adultes, mentir? Quelque chose clochait.
C’est un sentiment similaire que j’ai éprouvé en lisant la dépêche surréaliste pondue samedi par l’APS, l’agence officielle de propagande et de désinformation des généraux qui dirigent l’Algérie.
Selon cette officine, l’Algérie aurait «sollicité des éclaircissements sur les réactions des pays de l’Union européenne à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne». Il semble que quelqu’un (mais qui?) aurait convoqué (mais où?) quelques ambassadeurs (mais lesquels?) pour leur dire quelque chose (mais quoi?).
Ce qui est sûr, c’est que les scribouillards de l’APS ne sont pas passés par une école de journalisme: la première chose qu’on y apprend est la règle des 5 ‘W’ (what, why, who, when, where), c’est-à-dire les cinq questions auxquelles tout article bien construit doit répondre.
Par ailleurs, qui a donné cette information (qui a tout l’air d’un bobard) à l’APS? Eh bien, c’est «une source bien informée au ministère des Affaires étrangères». Étrange… L’Algérie officielle «sollicite des éclaircissements» à d’importants pays d’Europe, mais son gouvernement n’en dit mot? Il faut qu’une fuite en informe la presse, il faut qu’un type anonyme, fausse moustache et lunettes sombres, glisse quelques mots dans un couloir à un pisse-copie qui note ça au stylo-bille dans un calepin? L’APS, c’est vraiment l’Agence des Postiches et des Souffleurs.
La suite est encore plus délirante.
On apprend avec stupéfaction, toujours par la même dépêche, que des ambassadeurs auraient renié la position officielle des pays qu’ils représentent. Ces derniers avaient pris leurs distances avec la décision (très discutable) de la Cour de Justice de l’UE et affirmé qu’ils allaient continuer leur partenariat stratégique avec le Maroc, ce qui sous-entend tout le Maroc, provinces sahariennes comprises, puisque le pays forme un bloc. Que nenni, auraient couiné ces ambassadeurs imaginaires, que nenni! Certains d’entre eux auraient même «affiché leur étonnement à la lecture du contenu du communiqué de la Commission européenne».
Voilà qui donne un éclairage intéressant sur la façon dont Alger conçoit le rôle d’un ambassadeur. Il pourrait donc contredire la position officielle de son pays? Il est vrai que les diplomates de Tebboune, «des énergumènes» selon le vice-Premier ministre du Mali, comptent dans leur rang des catcheurs et des petites frappes qui ne savent pas se tenir, mais de là à généraliser au Quai d’Orsay ou au Palais de Santa Cruz… Il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes.
À la lecture de la galéjade de l’APS, j’ai donc éprouvé le même sentiment qui m’avait étreint quand je m’étais rendu compte, enfant, que des adultes pouvaient mentir. Et puis j’ai haussé les épaules.
Au fond, qu’y a-t-il là d’étonnant? Que peut-on attendre d’un régime construit sur le mensonge permanent? L’Algérie se nomme officiellement «démocratique et populaire» -comme les pays du bloc de l’Est autrefois-, alors que ce n’est pas le peuple qui y exerce le pouvoir, mais une clique de généraux. Premier mensonge. Et puis, il y a tous les autres: que le pays existerait depuis des millénaires, alors que c’est une création française du siècle dernier; que l’ALN l’aurait libéré, alors que Boukharrouba (alias Houari Boumédiène) n’a jamais tiré un seul coup de feu; qu’il aurait eu un million et demi de martyrs, alors que la guerre d’Algérie a fait, au total, un peu plus de 200.000 victimes; qu’il soutiendrait l’autonomie des peuples, alors qu’il la refuse à ses Kabyles; qu’il serait la troisième puissance économique de la planète, alors qu’il ne produit rien, etc. La liste est interminable.
Toutes ces rodomontades ne seraient qu’hilarantes si elles ne conduisaient pas la junte militaire à soutenir à bout de bras -280 milliards de dollars gaspillés de 1975 à aujourd’hui- une bande de mercenaires qui nous font la guerre depuis un demi-siècle. Au lieu de construire ensemble un Maghreb prospère, ces menteurs compulsionnels ne cessent de l’entraver.
Et c’est là que la blague cesse d’être amusante et devient une farce sinistre. Hélas.