Les résultats des scrutins du 8 septembre. Les uns et les autres n’ont pas manqué d’y revenir. Des gagnants, (RNI, PAM, PI, USFP et même PPS) ne se privent pas de surligner leurs scores respectifs. Le grand perdant -qui n’est autre que le PJD- n’a pas encore livré sa version. La direction assurée par le secrétariat général qui est entre les mains de Saâd-Eddine El Othmani, par ailleurs chef de gouvernement sortant, temporise ne serait-ce que parce qu’elle est en état de choc.
Il faudra donc attendre la session extraordinaire du Conseil national fixée au samedi 18 septembre courant, puis un prochain congrès pour pouvoir appréhender une défaite aussi cuisante. La formation islamiste a vu ses effectifs de députés dans la Chambre des représentants divisés par dix, chutant de 125 membres à 13. Dans la pratique électorale marocaine, pourtant passablement heurtée depuis plus d’un demi-siècle, c’est bien un cas de figure inédit. Au dehors, il faut bien chercher pour espérer trouver quelques précédents...
En tout cas, il est utile sans doute de mettre en perspective les résultats du 8 septembre dans le déroulé de la vie politique nationale au moins sur la base de la décennie écoulée et peut-être même celle qui l’a précédée.
De quoi s’agit-il? D’une hypothèse qui se fonde sur une interprétation de principe. Sa déclinaison est binaire: le 8 septembre, c’est une normalisation; c’est aussi dans le même temps une alternance démocratique. Normalisation? Oui, si l’on considère que les deux législatures et les deux cabinets PJD n’auront été finalement qu’une parenthèse. Elle est désormais corrigée par les électeurs et ce, entre 2011 et 2016 d'un côté et 2021 de l'autre.
Dans les toutes prochaines semaines, un nouveau cabinet dirigé par Aziz Akhannouch sera formé, puis investi par la Chambre des représentants. Il aura une configuration particulière alors que le PJD se voit rejeté dans l’opposition; avec seulement 13 députés, il ne pourra même pas constituer un groupe parlementaire…
Cours normal de la vie électorale et démocratique avec ses variations? Ce pourrait être une première lecture. Mais en fait, la sanction populaire massive de la formation islamiste va bien au-delà: elle renoue avec les multiples cheminements et épisodes de la vie parlementaire du Royaume avant 2011.
C’est qu’en effet, la décennie PJD qui finit aujourd’hui n’a-t-elle pas été seulement un phénomène éruptif conjoncturel? Référence est faite ici au fait qu'elle est liée à des circonstances particulières comme le printemps arabe et son prolongement au Maroc avec le “Mouvement du 20 février“.
En 2011, une forte aspiration au changement était alors très prégnante. Les gouvernements en place n'arrivaient pas à y faire face, d'autant plus que certains régimes politiques étaient éligibles au modèle autoritaire (Libye, Tunisie, Egypte,...). Le Maroc, lui, relevait d'une autre comptabilité avec un référentiel monarchique historique, une vision royale d'un projet de société et le ferme volontarisme du roi Mohammed VI. C'est d'ailleurs à la sagacité du Souverain et à son courage -voire son audace- qu'a été présentée et adoptée la nouvelle Constitution de juillet 2011. Quel autre pays dans la région ou dans le monde arabe a pu entreprendre une telle “rupture“ institutionnelle et démocratique?
Attaché au respect de cette même loi suprême, le Roi a tenu à en faire une application conséquente. Sur la base des dispositions de son article 47, il a nommé, dès la proclamation des résultats législatifs de novembre 2011, Abdelilah Benkirane, du PJD. La même procédure a prévalu en 2016, la formation islamiste se classant de nouveau en tête -sauf à préciser que chef du gouvernement désigné, ce responsable n'a pas pu former un cabinet avec une majorité. Six mois après, le 15 mars 2017, il remettait alors son tablier. Deux jours plus tard, le 17 mars, c'est Saâd-Eddine El Othmani, alors président du conseil national du PJD, qui s'est vu confier la mission de mettre sur pied une majorité. Le 5 avril suivant, son cabinet était nommé. Aujourd'hui, conformément à l'article 47 précité, voilà Aziz Akhannouch qui est désigné comme chef de gouvernement, deux jours après les élections du 8 septembre courant.
Dix ans après, la situation de la formation islamiste accuse un état exceptionnel au regard de la seule arithmétique électorale et parlementaire. Elle se classe au huitième rang avec 13 députés. C'est une marginalisation qui est consacrée par les électeurs, une éradication électorale en tout cas. Elle repose en des termes nouveaux la place et le rôle qu'elle comptait jouer et assumer dans le champ politique national. Le corps électoral a en effet exprimé massivement son rejet.
Même dans les propres rangs de cette formation, la démobilisation a été générale jusqu'à un boycott, significatif et lourd de conséquences. Ce qui a pesé dans ce sens a trait à la conjonction de plusieurs facteurs: le bilan jugé décevant, l'incapacité à porter et à incarner des réformes, la priorité donnée à des jeux politiciens internes et à des préoccupations davantage tournées vers la gestion des carrières et des ambitions personnelles, le décalage entre les besoins, les attentes et les aspirations des citoyens et les capacités de leur traduction dans des politiques publiques.
Mais, il y a plus: comment ne pas relever que la confiance n'était pas restaurée, un paramètre pesant sur le climat d'affaires et d'investissement. La rapide réactivité de la Bourse de Casablanca, des milieux économiques nationaux et étrangers, dès la proclamation des résultats du 8 septembre, témoigne bien de la situation. La machine économique va rebondir et offrir un nouvel élan inscrit dans le cadre d'une stratégie définie par le Nouveau Modèle de Développement.
En termes opératoires, un Pacte national pour le développement va être une référence au programme du nouveau cabinet, avec des objectifs mais aussi des engagements des composantes de la majorité. Le PJD n'y sera pas; il lui est difficile de rallier ce Pacte alors qu'il est rejeté dans l'opposition pour la durée quinquennale de la présente législature.
Une séquence politique et historique vient donc de prendre fin: celle de la mouvance islamiste portée, voici une dizaine d'années au moins, par le printemps arabe et l'appui de l'Occident (Etats-Unis, UE,...). Il était considéré alors que les partis islamistes étaient un facteur de stabilité à conforter et à soutenir, notamment pour des raisons géostratégiques. Une thèse démentie depuis avec ce qui s'est passé en Egypte, en Tunisie et ailleurs.
Au Maroc, il faut relever que le PJD a bien été un acteur de stabilité en 2011, ce qui n'est guère contestable. A la tête de l'exécutif, il n'a pas été cependant à la hauteur des réformes attendues, l'impulsion et l'accompagnement de celles-ci étant d'initiative royale. Cette constatation a fini par conduire à un rythme lent des actions gouvernementales, à des dysfonctionnements au sein de la majorité, à une sorte de “panne“. Le calendrier institutionnel ne pouvait que laisser à 2021 le soin de trancher. C'est ce qu'ont fait massivement les électeurs, le 8 septembre.
Une normalisation s'est faite lors de ce scrutin. Mais, si elle se limitait à ce seul aspect, elle ne porterait pas tous les fruits qui en sont attendus. Le vote du 8 septembre est un suffrage populaire majoritaire pour le changement. Et une alternance démocratique voulue par les urnes. Une régulation électorale et politique qui n'a que trop tardé... d'ailleurs!