Avis de turbulences sur le parcours de l’accord agricole Maroc–UE

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueL’accord révisé en octobre arrive en séance plénière au Parlement européen. Les prochaines semaines s’annoncent mouvementées, dans un climat politique électrique où, d’où qu’ils viennent, les députés règlent surtout leurs comptes avec la Commission et l’ensemble de sa politique agricole.

Le 22/11/2025 à 10h01

Dans la mécanique complexe d’une révision imposée par la Cour de Justice de l’UE, un rappel préalable s’impose. L’accord conclu en octobre dernier entre le Maroc et la Commission européenne s’applique de manière provisoire, et sera soumis à l’approbation des eurodéputés en 2026. C’est sur la question de l’étiquetage des produits et de la mention de leur origine qu’arrive un débat parlementaire, le premier depuis le vote de la résolution 2797, via un «acte délégué» produit par la Commission européenne avec les experts des États membres, qui répond à la fois aux exigences des juges de Luxembourg et aux discussions menées avec Rabat: créer un étiquetage clair indiquant l’origine des fruits et légumes importés dans l’UE et produits dans les deux régions sahariennes, en reprenant leur dénomination actuelle «Dakhla-Oued Ed-Dahab» et «Laâyoune-Sakia El Hamra», issue de la réforme régionale marocaine.

Les discussions en commission AGRI ont donné lieu à des échanges savoureux. Les parlementaires qui contestent ces appellations régionales les jugent susceptibles d’induire en erreur le consommateur– sans que l’on sache très bien si leur condescendance vise les habitants de ces deux régions ou bien les consommateurs européens. L’un soutient que «d’autres régions, dans d’autres pays ont, eux aussi, des noms du même style»! Mention spéciale– entre prix de l’humour politique et néo-orientalisme décomplexé– pour un élu écologiste osant «Qui connaît ces régions aux noms arabes?» (sic).

L’acte délégué ouvre une période dite «de contrôle» qui offre au Conseil, et au Parlement à la majorité des membres, la possibilité d’une «objection». Certains groupes l’ont déjà évoquée. La procédure qui s’ouvre n’est pas sans risque. D’abord, parce qu’il est inhabituel de débattre d’un acte délégué alors même que le texte principal n’a pas été approuvé. Surtout, le débat pourrait prendre une dimension politique plus large. Rien n’exclut que la bataille autour de l’étiquetage du melon– charentais!– de Dakhla ne devienne l’exutoire d’une colère agricole européenne autrement plus profonde, que nombre d’élus n’hésiteront pas à porter jusque dans l’hémicycle.

Les agriculteurs européens constituent, depuis longtemps, l’ajustement des politiques économiques et commerciales de l’Union. Mais ils font face, ces derniers mois, à des attaques simultanées, qui s’apparentent à un coup de grâce. D’abord, le Mercosur– qui pourrait être signé en décembre– avec à la clé l’arrivée massive de viande sud-américaine à bas prix, des clauses miroir théoriques et un mécanisme de rééquilibrage qui crée un droit à compensation pour les pays du Mercosur si une loi européenne venait à réduire leurs flux commerciaux vers l’UE. Les accords préférentiels avec l’Ukraine– sur les œufs, les volailles, le sucre– déstabilisent depuis 2022 des filières déjà fragiles. Et finalement, le démantèlement programmé de la PAC avec l’annonce d’une réforme qui conjugue renationalisation des financements et pression budgétaire généralisée.

À cette échelle macroéconomique, que pèse la tomate marocaine? Sur l’ensemble des marchés européens, son impact concurrentiel devient inférieur à celui de la production turque; l’accord révisé ne comporte aucune ouverture nouvelle des Européens en matière d’accès au marché, de quota ou de saisonnalité. Tandis que les enjeux stratégiques du partenariat UE-Maroc sont incommensurables. Les États membres l’ont bien compris. Le Conseil le manifeste. Et le Parlement tergiverse?

Dans une Europe traversée à la fois par une crise de confiance institutionnelle et par un profond malaise agricole, les députés expriment, dossier après dossier, une défiance grandissante envers un exécutif auquel ils reprochent ses méthodes opaques– retard dans la transmission des mandats de négociation, accès restreint aux documents sensibles, usage des actes délégués– sa géopolitique agricole incohérente et une hyper-présidentialisation autour d’Ursula Von der Leyen. Un Parlement qui gronde, qui n’assume jamais collectivement le geste ultime de la censure, et préfère transformer chaque texte en combat interinstitutionnel. L’accord agricole Maroc-UE n’y échappera pas.

Par Florence Kuntz
Le 22/11/2025 à 10h01