Déshumanités

Mouna Hachim.

Mouna Hachim.

ChroniqueA suivre l’actualité au Proche-Orient et ses commentateurs aux quatre coins de la planète, «Tous les humains sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres!» (Merci Orwell!)

Le 14/10/2023 à 11h03

Résister aux terrorismes de la pensée, aux propagandes de guerre, aux débordements émotionnels, aux apôtres bien de chez nous, du «Taza avant Gaza» (entendu, «Nos priorités nationales d’abord!»)…

Oublier la géographie, les appartenances ethniques et religieuses, les enjeux politico-stratégiques, les sympathies idéologiques, l’histoire plus ou moins récente, depuis 1948, année de la Déclaration d’établissement de l’État d’Israël et année de la Nakba, « grande catastrophe » contraignant près de 800.000 Palestiniens à l’exode; sans remonter aux temps prophétiques avec la Bible comme cadastre…

Feindre d’ignorer qui attaque le premier, qui riposte, qui colonise, qui favorise le Hamas, qui l’arme, qui tire les ficelles, qui affiche une incompréhensible faille sécuritaire; et, dans le lot, toutes les résolutions adoptées par l’Assemblée générale des Nations-Unies condamnant les violations israéliennes dont 15 pour la seule année 2022, y compris celle datant du 30 décembre exhortant la Cour internationale de justice à déterminer «les conséquences juridiques» de l’occupation israélienne de territoires palestiniens et de ses mesures «visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem».

Mais, admettons que l’on cesse de réfléchir -ou, à ce rythme, que les gardiens de la pensée des deux côtés verrouillent tout débat possible-, il restera en nous un cœur qui ne peut rester insensible aux violences infligées aux populations civiles de quelque bord qu’elles se situent.

Lorsque le monde s’est réveillé samedi dernier sur cette attaque d’une ampleur inédite, opérée par terre, par air et par mer, par le Hamas, une condamnation quasi unanime a été exprimée aux quatre coins de la planète.

Nous avons vu des grands-mères kidnappées comme des trophées, des jeunes fuyant la rave-party où plusieurs laisseront la vie, d’autres ajoutés à la liste des otages civiles et militaires, et bien d’autres images d’atrocités auxquelles il n’y avait nul besoin de rajouter des fakes news, relayées sans vérification par des médias, des députés ou des sénateurs, telle l’histoire des « 40 bébés décapités » rappelant le faux-témoignage sur les nouveau-nés koweïtiens arrachés à leurs couveuses lors de l’invasion du Koweït par les forces armées irakiennes de Saddam Hussein.

Qu’Israël cherche à pulvériser le Hamas est une chose; mais comment accepter décemment cette punition collective et vengeance aveugle abattue sur les deux millions d’habitants de la bande de Gaza?

Prison à ciel ouvert, soumise à un blocus israélien depuis plus de 15 ans, Gaza est donc, une fois de plus, une fois de trop, pilonnée par les bombardements avec une intensité choquante sans répit et sans distinction aucune, ravageant hôpitaux, université, usines, immeubles d’habitations, lieux de culte...

Le siège total est par ailleurs imposé dans une mise en danger criminelle de la vie des civils, privés de biens essentiels à leur survie, au mépris des valeurs humaines universelles et du droit international humanitaire.

Nous n’allons pas établir des comptabilités macabres autour des nombres de victimes civiles de part et d’autre ni ajouter du grain à moudre aux débats sémantiques autour de l’appellation à donner aux attaques des deux camps, que leurs propres instigateurs n’ont pas manqué, dans tous les cas, de désigner en piochant dans les récits bibliques, entre Glaive de fer et Déluge.

Le résultat, ce sont des civils éplorés qui pleurent leurs morts, des familles décimées, des traumatismes à vif et ces scènes apocalyptiques à Gaza.

Question: Est-ce qu’aux yeux du monde, tous les humains se valent?

Tout d’un coup, dans la majorité des grands médias du monde, dit «libre», les victimes civiles palestiniennes, déjà invisibilisées, n’ont pas de visage.

Elles ne sont ni des grands-mères, ni des enfants, ni des femmes, ni de paisibles pères de famille.

Elles n’ont pas de maisons, pas de travail, pas d’écoles, pas de vécu, pas de cadres de vie qui permettent de s’identifier à elles ou de nouer la moindre attache.

Loin des images stylisées des déflagrations vues d’en haut et d’une certaine esthétique froide de la violence vendue sur les médias mainstream, il y a pourtant des humains en dessous qui vivent dans la terreur au milieu de la mort et de la dévastation.

Or, si les Israéliens sont «tués», pour la britannique BBC à titre d’exemple, les Palestiniens «meurent». Ni plus ni moins.

Sur le plateau de BFMTV, le «philosophe» Raphaël Einthoven, poussait l’ignoble jusqu’à demander de marquer une différence entre les morts civils israéliens et les morts civils palestiniens rangés cyniquement dans la catégorie «victimes collatérales», pendant que l’éditorialiste géopolitique Pierre Servent expliquait sur LCI que l’armée israélienne ne peut pas faire autrement «que de rentrer et de tout détruire, ça veut dire qu’il y aura énormément de soldats israéliens qui vont mourir au combat».

Que vaut la vie de 2,3 millions de personnes lorsqu’elles sont palestiniennes?

Réponse du ministre israélien de la Défense Yoav Galant: «Nous imposons un siège total contre la ville de Gaza. Il n’y a pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. Tout est fermé. Nous combattons les animaux humains et nous agissons en conséquence».

Plonger l’Autre dans l’animalité comme durant la sombre période d’une histoire pas si ancienne, c’est légitimer la barbarie de l’Etat sur la voie du génocide.

Quant à demander avec fausse niaiserie que les voisins égyptiens acceptent l’évacuation des habitants de Gaza sur leur territoire, c’est avaliser une autre Nakba et nettoyage ethnique car s’ils sortent, qui garantit leur retour?

Dans cette surenchère mortifère, la députée de la Knesset, élue sous l’étiquette Likoud, Tally Gotliv, a quant à elle trouvé une solution radicale, soit utiliser l’arme nucléaire contre Gaza, oubliant au passage que c’est se condamner soi-même!

Pour dire que sans justice, aucune paix ne sera jamais possible, que ce soit dans la région ou bien au-delà tant les populations mondiales, à peine sorties d’un cataclysme sanitaire et pas tout à fait encore remises de son impact économique dévastateur, sont chauffées à blanc et tant les répercussions du conflit sont planétaires.

A moins que le but des radicaux de tous poils ne soit justement de nous plonger dans l’apocalypse.

Par Mouna Hachim
Le 14/10/2023 à 11h03