C’est une histoire qui s’est tissée loin des projecteurs. Une histoire de confiance, de rigueur et de fraternité d’armes. Depuis les années soixante, le Maroc a fait le choix de partager son expertise militaire avec ses voisins africains. Une démarche sans ostentation, mais d’une continuité ininterrompue, qui place aujourd’hui Rabat parmi les acteurs les plus influents dans la formation des élites militaires africaines.
Dans son 429ème numéro, la Revue des Forces armées royales revient, point par point, sur cette coopération multiforme, patiemment bâtie au fil des décennies. De la formation initiale aux cursus hautement techniques, des blindés aux transmissions, du matériel à l’artillerie, les établissements marocains ont accueilli des milliers d’officiers, sous-officiers et spécialistes issus d’une vingtaine de pays africains. Un effort structuré, rigoureux, soutenu par les hautes instructions du roi Mohammed VI, chef suprême et chef d’État-major général des FAR.
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On se souvient de l’ordre du jour que le Roi a adressé, le 14 mai 2014, à la famille des FAR: «Nous vous exhortons à renforcer le rôle efficace et de plus en plus important que jouent nos instituts, centres de formation et unités dans le cadre de la coopération militaire avec des pays frères et amis, notamment en Afrique.» Depuis, ce cap n’a jamais changé. Au contraire, le Maroc a consolidé des décennies d’expérience en un véritable dispositif continental.
«À peine indépendant, le Maroc s’était engagé à partager ses ressources et son expérience avec ses pays frères du continent. Dès la fin des années 1960, des pays comme le Sénégal, le Niger ou la Centrafrique ont confié la formation de leurs militaires aux établissements marocains. Cette démarche a été institutionnalisée en 1975 par un décret fixant les conditions d’admission des élèves étrangers dans les écoles et centres de perfectionnement des FAR», apprend-on de la revue des Forces armées royales.
L’orientation donnée par le roi Mohammed VI a élargi la portée de cette coopération militaire, attirant toujours plus d’États africains et consolidant l’image d’un Royaume engagé aux côtés de ses partenaires. Cette expansion s’appuie sur un modèle de formation fondé sur l’égalité de traitement, où les stagiaires étrangers bénéficient des mêmes conditions que leurs camarades marocains. Accès aux cours, bourses, hébergement, prise en charge médicale... L’ouverture est complète, limitée seulement par le nombre de places disponibles.
Pour accompagner ces stagiaires venus de pays frères, les écoles et centres des FAR déploient un soutien personnalisé (appui linguistique, réorientations adaptées, dispositifs d’accueil et de suivi). Le parrainage, qui associe chaque élève étranger à un stagiaire marocain, facilite l’immersion au quotidien et crée des liens humains qui dépassent la formation.
Le Maroc offre également un cadre de vie marqué par l’hospitalité et la fraternité, permettant aux «invités du Royaume» de pratiquer librement leur culte, de circuler et de s’intégrer pleinement.
Une coopération terrestre qui se consolide
L’Armée de terre des FAR accueille chaque année des stagiaires venus suivre une formation initiale ou continue au sein de ses écoles d’officiers.
L’Académie royale militaire de Meknès occupe une place centrale. Chaque année, des centaines de jeunes choisissent cette institution pour s’engager dans une carrière d’officier. Ils y trouvent un cadre exigeant, conçu pour former des chefs capables de commander, décider et assumer les responsabilités de leur futur grade. Fondée en 1918, l’ARM est devenue un pôle de formation reconnu, accueillant des promotions mêlant élèves-officiers marocains et stagiaires issus d’une vingtaine de pays du continent. Depuis l’arrivée du premier stagiaire africain en 1969, plus de 1.100 cadets venus de pays frères ont été formés, renforçant ainsi les liens militaires et diplomatiques du Maroc avec l’Afrique.
La formation qui y est dispensée est résolument multidimensionnelle. Pendant quatre années, les cadets évoluent dans un environnement rigoureux où discipline, endurance et cohésion façonnent le quotidien. L’enseignement s’articule autour de trois piliers majeurs, alliant exigence militaire, excellence académique et apprentissage du commandement. Dès les premiers jours, les routines s’installent (réveils à l’aube, cérémonial militaire, instruction au combat, tir, manœuvres tactiques, entraînements physiques, parcours du combattant et exercices en conditions réelles).
Décider sous pression
Au sein de l’école de commandement, les stages en unités opérationnelles plongent les élèves-officiers dans des situations concrètes, où les contraintes du terrain, la gestion des hommes et la prise de décision rapide deviennent leur quotidien. Cet entraînement progressif façonne leur leadership et les évalue non seulement sur leurs résultats académiques, mais aussi sur leur comportement et leur aptitude à commander.
Cette montée en compétence s’accompagne d’une formation continue qui dépasse le cadre strictement militaire. Techniques de communication, pédagogie, capacité à transmettre un savoir... Autant de dimensions intégrées au cursus pour préparer les jeunes officiers à encadrer, enseigner et former à leur tour. Entre 2020 et 2025, plus de 200 élèves-officiers issus de plus de 25 pays africains ont ainsi bénéficié de ces programmes, auxquels s’ajoutent des sessions régulières de formation de formateurs pour répondre aux besoins des armées partenaires.
En parallèle, l’enseignement universitaire occupe une place essentielle dans le parcours. Dispensé depuis 1972, il vise à développer l’esprit scientifique, analytique et critique des stagiaires. Cours magistraux, travaux dirigés, filières structurées selon le système licence–master–doctorat, tout concourt à forger des officiers capables de raisonner, d’analyser et de décider dans des situations complexes. Les trois filières proposées (sciences et techniques, sciences juridiques, langue et littérature anglaises) offrent un socle solide pour accompagner leur évolution intellectuelle et renforcer leur potentiel de leadership.
Cette formation globale s’inscrit dans une tradition profondément ancrée à l’Académie royale militaire. Les rites et cérémonials, hérités de générations d’officiers africains passés par l’ARM, forgent un esprit commun et entretiennent la mémoire d’une coopération ancienne. Dès leur arrivée, tous les élèves-officiers, marocains comme visiteurs, adhèrent aux règles et aux usages de l’École, qui facilitent leur intégration et renforcent la cohésion du groupe.
Les fêtes nationales des pays frères, régulièrement célébrées à l’Académie, font preuve de cette ouverture. Hissées par les stagiaires concernés, leurs couleurs témoignent d’une reconnaissance envers le Maroc et enrichissent la vie collective par la diversité des cultures représentées. Cette pluralité nourrit les traditions de l’École, où les contributions des stagiaires étrangers apportent un souffle nouveau, tant dans l’encadrement que dans l’organisation des cérémonies.
Le rayonnement de l’ARM s’exprime aussi à travers les distinctions honorifiques que son drapeau a reçues de plusieurs nations africaines. Sénégal, Comores, Burkina Faso, Centrafrique, chacune de ces décorations rappelle la confiance, la gratitude et la profondeur des liens qui unissent le Maroc aux pays dont les élèves-officiers ont été formés à Meknès.
Un éventail de formations taillées pour les exigences de l’arme blindée
À l’École royale blindée, cette coopération a débuté dans les années soixante-dix avant de connaître une expansion notable à partir des années 2000, jusqu’à atteindre une crête en 2022. L’ERB propose une gamme de formations variées (cursus initiaux, perfectionnement, spécialisations techniques, mais aussi visites d’échanges régulières).
À ce jour, l’école a formé 340 officiers en stage d’application et 44 élèves-officiers de deux pays africains dans le cadre des formations initiales. Pour la formation continue, plus de 230 officiers ont suivi le cours de capitaine et 250 le cours de perfectionnement, auxquels s’ajoutent des formations spécifiques comme les brevets de maîtrise, brevet supérieur, brevet élémentaire et des stages dédiés à la pédagogie militaire et aux instructeurs de tir.
Depuis 1975, le bilan global atteint 1.350 cadres africains formés (849 officiers, 425 officiers du rang, 44 élèves-officiers et 32 militaires du rang).
L’École royale de l’artillerie s’inscrit dans ce même mouvement. Depuis sa création en 1968, elle a accueilli des stagiaires confiés par de nombreuses armées africaines, et a formé jusqu’à aujourd’hui 1.377 cadres issus d’une vingtaine de pays du continent, parmi lesquels le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Centrafrique, la Côte-d’Ivoire, Djibouti, le Gabon, la Guinée-Bissau, la Guinée, la Guinée-Équatoriale, les Îles Comores, le Mali, la Mauritanie, le Niger, la République du Congo, la République démocratique du Congo, le Sénégal, le Tchad, le Togo ou encore la Tunisie. Fait notable: depuis 2010, les effectifs africains y ont pratiquement doublé.
Des ateliers et simulateurs pour un apprentissage pratique de haut niveau
Au sein des FAR, la formation spécialisée constitue un axe majeur de la coopération, portée par des écoles techniques capables d’offrir aux armées africaines un savoir-faire pointu et directement opérationnel.
L’École royale du matériel incarne pleinement cette dynamique. Devenue une référence pour les pays frères et amis du continent, elle couvre l’ensemble des spécialités du service du matériel (systèmes d’armes, maintenance automobile et engins blindés, munitions, gestion technique, optromécanique, construction et fabrication métalliques). Entre 2015 et 2025, l’ERM a formé 913 stagiaires africains, chiffre révélateur de l’ampleur de sa mission et de la confiance que de nombreuses armées partenaires placent dans son expertise.
L’année scolaire 2025-2026 s’inscrit dans cette continuité, avec 130 stagiaires africains programmés, dont la moitié a déjà entamé sa formation. Pour mener à bien cette mission, l’ERM s’appuie sur une pédagogie moderne: simulateurs automobiles reproduisant pannes moteur, dysfonctionnements de freinage ou anomalies électriques, maquettes d’instruction complètes, bancs d’essais pour diagnostics, plateformes dédiées aux travaux pratiques.
Une pépinière de spécialistes des transmissions depuis 1957
Depuis près de sept décennies, le Centre d’instruction des transmissions occupe une place stratégique dans la montée en compétence des cadres militaires, marocains comme africains, en leur offrant une maîtrise avancée des systèmes d’information et de communication.
Créé le 1er août 1957, le CIT s’est imposé comme une pépinière de spécialistes des SIC, capable d’assurer aussi bien la formation initiale que le perfectionnement de cadres nationaux et de stagiaires venus des pays frères et amis. Son offre, vaste et modulable, répond aux besoins de chaque catégorie (cours de capitaine, perfectionnement, stages d’application des transmissions, formations ciblées en réseaux informatiques CISCO, analyse informatique ou encore spécialisation d’Officier des transmissions corps de troupe).
Son rôle dépasse très tôt les frontières nationales. Dès les années 1970, le Centre accueille des stagiaires africains dans le cadre de la coopération militaire, inscrivant durablement sa mission dans la vision marocaine d’une coopération Sud-Sud active et constructive. Entre 1975 et 2024, le CIT a ainsi formé 1.566 stagiaires issus de pays frères du continent, dans un éventail de spécialités couvrant l’ensemble des besoins de l’arme des transmissions (conception et administration de réseaux, ingénierie logicielle, cybersécurité, infographie, guerre électronique, mais aussi maîtrise pratique des moyens radio, satellitaires et hertziens, ainsi que toutes les opérations de maintenance et de maintien en condition des systèmes SIC).
Pour accompagner cette montée en compétence, le Centre met à la disposition de ses stagiaires un ensemble d’infrastructures technologiques de haut niveau (laboratoire CISCO, laboratoire fibre optique, simulateurs cyber de type CyberRange, ateliers dédiés aux systèmes électroniques). Cette plateforme moderne combine théorie solide et expertise pratique, offrant aux cadres africains une formation conforme aux standards internationaux et leur permettant d’intégrer, d’exploiter et de sécuriser efficacement les systèmes d’information et de communication au sein de leurs armées.
Une coopération navale qui s’affirme sur tout le continent
Depuis plus de soixante ans, la Marine royale inscrit son action dans une dynamique de solidarité africaine, formant des générations de marins tout en accompagnant la modernisation des forces navales du continent.
Consciente de l’importance du facteur humain dans la sécurité maritime africaine, elle a ouvert ses écoles, dès les années 1970, aux stagiaires des marines sœurs du continent. Officiers, officiers du rang et militaires du rang bénéficient ainsi de formations techniques, tactiques et opérationnelles couvrant le commandement, la navigation, la mécanique navale, l’électronique, les transmissions, la sécurité et l’environnement maritime. À cette préparation s’ajoutent des infrastructures d’accueil modernes (dortoirs, réfectoires, installations sportives) ainsi qu’une prise en charge financière complète incluant habillement, matériel pédagogique, documentation et équipements de sécurité. L’encadrement permanent et des structures adaptées permettent d’assurer un apprentissage exigeant et cohérent avec les standards de la Marine royale.
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Dans cette architecture, l’École royale navale, fondée en 1967, constitue un véritable pôle d’excellence. Chargée de la formation initiale et continue des officiers, de l’organisation de cycles de perfectionnement et de la conduite de travaux de recherche, elle répond aujourd’hui à des enjeux sécuritaires et technologiques de plus en plus complexes. Depuis le début de sa coopération africaine en 1973 (année où la Mauritanie fut le premier pays à en bénéficier), l’ERN a formé 352 officiers représentant 22 nations africaines, rejoints par divers contingents d’élèves-officiers et de stagiaires suivant cours d’application et perfectionnement.
En 2017, l’ouverture aux personnels féminins africains marque une étape significative, renforçant la dimension inclusive d’une formation qui s’enrichit de stages spécialisés (aguerrissement, parachutisme, plongée sous-marine). Ces activités, encadrées par des instructeurs qualifiés, développent discipline, courage, initiative, cohésion et capacité d’adaptation à des environnements hostiles. Les immersions en unités combattantes offrent aux élèves-officiers l’expérience directe des responsabilités opérationnelles, prolongeant ainsi la culture d’exigence et de solidarité propre à la Marine royale.
Le Centre d’instruction de la Marine royale, créé en 1973, représente l’autre pilier de cette coopération. Responsable de la formation des officiers du rang et des militaires du rang, il combine formation militaire initiale et continue, modules tactiques et techniques, ainsi qu’une formation professionnelle reposant sur l’approche par compétences. Ouvert aux stagiaires africains depuis 1985, année durant laquelle une seule place était attribuée, il voit sa capacité croître régulièrement jusqu’à atteindre 151 places en 2025.
À ce jour, près de 3.000 militaires issus de différents pays du continent ont été formés au CIMR. Leurs cursus, adaptés à leurs grades et spécialités, leur permettent d’obtenir des qualifications variées (Certificat militaire de spécialité (CMS), Brevet élémentaire (BE), Brevet supérieur (BS) ou encore Brevet de cadre de maîtrise (BCM)).
Comment l’ERIA façonne une nouvelle génération d’intendants africains
En un quart de siècle, l’École royale interarmées d’administration a offert aux armées africaines un cadre d’excellence dédié à la formation des intendants militaires.
Fondée en 2000 sous le nom de Centre cours supérieur interarmées de l’intendance, l’ERIA s’est inscrite dès ses débuts dans la dynamique de modernisation impulsée par le roi Mohammed VI. Son évolution, marquée par son rattachement au commandement de la Gendarmerie royale, a renforcé la dimension académique de ses cursus et ouvert la voie à la poursuite d’études universitaires.
Cette ouverture s’est accompagnée d’une véritable richesse culturelle et intellectuelle. Les officiers stagiaires issus des pays frères et amis, forts de leurs expériences propres, nourrissent un environnement d’apprentissage fondé sur l’échange, la complémentarité et une intégration africaine croissante. Cette diversité représente un atout pour l’École et participe au rayonnement diplomatique du Royaume, confirmant son rôle moteur dans la consolidation de la coopération continentale.
En un quart de siècle, l’ERIA a formé plus de 171 intendants militaires représentant 19 pays africains, auxquels s’ajoutent 33 officiers stagiaires actuellement en formation. Devenus ministres, secrétaires d’État, directeurs centraux de l’intendance ou responsables logistiques et financiers, ces lauréats incarnent la réussite d’un modèle de coopération Sud-Sud qui place le développement des compétences au cœur de la stratégie de partenariat. Le réseau ainsi constitué constitue un capital immatériel précieux, facilitant la création de nouveaux liens, l’émergence de coopérations durables et l’intégration progressive des administrations militaires africaines.
L’école a également bâti une expertise solide dans la formation des intendants militaires, savoir-faire régulièrement salué par les délégations étrangères en visite. Cette reconnaissance confirme la place stratégique de l’ERIA dans le paysage africain de la formation administrative et logistique et son rôle essentiel dans la modernisation des services de soutien des armées du continent.
Lorsqu’on observe aujourd’hui les générations d’officiers africains passés par les écoles du Maroc, quelque chose frappe immédiatement: la continuité. Des décennies de formation ont façonné une constellation de cadres supérieurs disséminés dans les états-majors du continent, porteurs des mêmes méthodes, des mêmes réflexes, du même sens du devoir. Ce maillage humain, forgé loin des projecteurs, est devenu l’un des leviers les plus solides de la coopération sud-sud marocaine. Il reflète la permanence d’un engagement qui n’a jamais faibli et qui, à chaque promotion diplômée, se renforce un peu plus. Une histoire qui continue de s’écrire, patiemment, par la main de ceux qui ont choisi de faire du savoir militaire un pont entre les nations africaines.























