Que faut-il bien attendre d’un remaniement annoncé de l’équipe gouvernementale actuelle? Cette éventualité est-elle à l’ordre du jour des interrogations politiques des dernières semaines ? Tant s’en faut. Il faut rappeler en effet que dès les premières semaines de sa nomination et de son investiture, en octobre 2021, Aziz Akhannouch avait déclaré que des secrétaires d’État seront également désignés. Deux ans et demi après, aucune décision n’a été prise en la matière… Mais à l’occasion de son bilan de mi-mandat, en avril dernier, le chef de l’exécutif a évoqué qu’il attendait des propositions de ses deux alliés, le Parti de l’Istiqlal (PI) et le Parti authenticité et modernité (PAM), pour étudier l’option d’un réaménagement de son équipe gouvernementale. C’est de l’inédit: pour la première fois dans la pratique institutionnelle, un chef de cabinet rend public un tel dossier. D’ordinaire, et selon une coutume bien établie, pareille hypothèse est entourée de beaucoup de discrétion. Elle reste pratiquement voilée et feutrée du côté des cercles décisionnaires, à un titre ou à un autre.
Première interrogation à la mi-juin 2024: comment se présentent les termes de référence d’un changement au sein de l’exécutif? Ce qui paraît acquis c’est que les secteurs régaliens ne vont pas connaître de mouvement -Affaires étrangères, Habous et Affaires islamiques, Administration de la défense nationale. Qu’en sera-t-il du département de l’Intérieur, son titulaire actuel, Abdelouafi Laftit, veillant de manière vigilante à exercer la plénitude de ses attributions?
Pour ce qui est maintenant des deux composantes alliées au Rassemblement national des indépendants (RNI) au sein de la majorité, chacune est éligible à une comptabilité particulière. Le parti du Tracteur a tenu son 5ème congrès lors des assises des 9-10 février dernier. Une nouvelle direction a été élue, une «troïka» dont la coordinatrice est Fatima Ezzahra El Mansouri, ministre de l’Habitat, avec deux autres membres, Mohamed Mehdi Bensaïd, ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, et Salaheddine Aboulghali, parlementaire. Le secrétaire général sortant, Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, ne s’est pas représenté pour un second mandat. Là encore, de l’inédit dans la pratique institutionnelle partisane mutatis mutandis. N’est-ce pas le syndrome François Hollande, président français, qui avait annoncé le 1er décembre 2016, six mois avant le scrutin présidentiel, qu’il ne solliciterait pas un second mandat?
Sur ces bases-là, la représentation du PAM sera-t-elle modifiée dans le remaniement à l’ordre du jour? Le parti compte aujourd’hui sept ministres: seront-ils tous maintenus? Quels seront les sortants et les nouveaux entrants éventuels? Abdellatif Ouahbi sera-t-il reconduit dans ses fonctions actuelles de ministre de la Justice? Il a répondu par l’affirmative voici quelques semaines. De l’inédit toujours, comme si la décision finale lui appartenait en propre, évacuant les procédures et les normes constitutionnelles à cet égard. Il invoque pour sa part la poursuite des réformes de son département, lesquelles vont entrer dans une phase de finalisation et de délibération en Conseil de gouvernement puis au Parlement. Est-il incontournable pour cette tâche? En tout état de cause, son maintien pèsera sur sa crédibilité politique: c’est un ex-chef de parti au bilan sujet à caution dans sa propre formation, qui se retrouvera en première ligne durant des mois. C’est une véritable équation en termes de coût/bénéfice pour le Chef du gouvernement, déjà en bute à tant d’interpellations caustiques sur son action et son bilan.
Pour ce qui est de l’autre allié, la formation istiqlalienne, il est plutôt en mode veille dans la présente conjoncture. Le parti a pu tenir son 18ème congrès, les 26 -28 avril dernier, avec des années de «retard», les précédentes assises ayant eu lieu à la fin septembre 2017. Nizar Baraka avait été alors élu, et il a été reconduit pour un second mandat -il était le seul candidat. Il ne restait plus à ce parti qu’à faire des propositions au Chef du gouvernement pour lui permettre de revoir la composition de son cabinet. Or, le PI bute ces semaines-ci sur la composition définitive des 30 membres de son comité exécutif, quatre autres étant désignés par le secrétaire général. Il est prévu que cette liste de trente soit publiée au début du mois de juillet, preuve que ce processus est laborieux et qu’il doit avoir l’agrément des partisans de Nizar Baraka et de ceux de Hamdi Ould Errachid, maire de Laâyoune et parlementaire.
Que dire de ces lenteurs? Que le Chef du gouvernement n’a pas la main pour activer cet agenda, pas plus sans doute qu’il n’a de capacité d’arbitrage et encore moins décisionnaire. Que cette situation pèse sur l’action du gouvernement, fragilisé dans certains départements pouvant voir leurs titulaires actuels déchargés. Qu’il est difficile, dans ces conditions, de donner de l’allant aux politiques publiques et un nouveau souffle à des réformes à poursuivre et à consolider. Et puis, de «nouveaux visages», est-ce suffisant? Dès la fin juillet, une note de cadrage de la prochaine loi de finances 2025 sera en effet adressée par le Chef du gouvernement à la bonne vingtaine de départements de son cabinet: les nouveaux ministres auront-ils tellement de marge de manœuvre avec un projet de budget qu’ils n’auront pas préparé?
Autant de contraintes à prendre en considération. Il en est une autre qui a trait, elle, à la structure gouvernementale même. Il vaut de noter que bien des modifications et des évolutions ont marqué l’articulation des précédents cabinets et même celui de Aziz Akhannouch. Des rattachements peu efficients ont été faits, et des périmètres à géométrie variable peinent à dynamiser des secteurs: les Sports adjoints à l’Éducation nationale, comme pour prolonger la marginalisation de ce secteur, la Jeunesse couplée à la Culture et à la Communication, l’autonomisation des départements des Transports et de la Logistique, alors qu’ils relevaient auparavant de celui de l’Équipement, et l’absence de celui de la Formation professionnelle…
Remanié, le cabinet n’aura pratiquement que l’année 2025 pour imprimer davantage ses réformes, relancer la croissance, promouvoir l’emploi et consolider en les accélérant tous les chantiers sur la table. Pour les cinq mois restants d’ici la fin 2024, une remobilisation est-elle possible pour optimiser ce qui sera entrepris en 2025? Et pour 2026, c’est une autre équation qui va peser sur les politiques publiques et l’action de ce cabinet: celle, dès le mois de mars, de la préparation des scrutins de l’été et de l’automne…