«Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne», avait dit Jean-Pierre Chevènement en claquant la porte du gouvernement français en 1983, sous F. Mitterrand. Lahcen Daoudi vient d’apprendre à ses dépens qu’un ministre ne s’affiche pas ostensiblement au milieu de manifestants, quelle que soit la justesse de la cause qu’ils défendent. Mardi soir, en se joignant à la manifestation organisée par des ouvriers dégraissés par Centrale laitière, une société mise à mal par la campagne de boycott qui la vise avec deux autres entreprises, Lahcen Daoudi a grillé ses dernières cartes, même au sein de son propre camp. Mercredi, le Conseil national du parti de la lampe a décidé de le renvoyer du gouvernement. C’est ce qui fait écrire aux médias de ce vendredi 8 juin que Lahcen Daoudi a été renversé par le mouvement du boycott.
Pour le quotidien Al Massae de ce vendredi 8 juin, qui titre en Une: «Lahcen Daoudi, le martyr de Centrale laitière», le ministre délégué des Affaires générales a vu venir le coup, et s’est empressé, tôt mercredi, d’anticiper la sanction inévitable qui l’attendait pour demander au chef du gouvernement, Saad-eddine El Othmani, d’accepter sa démission du gouvernement. Ce qu’une réunion d’urgence du secrétariat général du PJD a accepté à l’unanimité en l’absence du principal concerné. Cependant, précise Al Massae, Lahcen Daoudi ne sera le libéré ou relevé de ses fonctions de ministre que sur décision royale, et ce en vertu de l’article 47 de la constitution de 2011. Avant d’ajouter qu’une demande en ce sens a été adressée au roi Mohammed Vi par le chef du gouvernement.
Même son de cloche en Une d’Al Akhbar ce 8 juin. Connu pour ne pas être en odeur de sainteté avec les PJDistes, ce quotidien, qui titre, mine de rien, «Le boycott du lait renverse un ministre du gouvernement El Othmani», rapporte que le secrétariat général du PJD a tenu un double langage face à «l’impair du ministre». D’une part, le communiqué dont s’est fendu, mercredi, le parti, a souligné que «la présence de Daoudi au sit-in de mardi relève d’une mauvaise appréciation et dénote d’un comportement irresponsable.» D’autre part, et dans le même communiqué, le PJD félicite Daoudi pour avoir eu le courage de demander de quitter le gouvernement, avant de prendre sa défense face aux sévères remontrances que lui ont adressé les militants du parti, via les réseaux sociaux.
Al Ahdath Al Maghribia, pour sa part, semble indirectement prendre la défense de Lahcen Daoudi, en ouvrant sa Une avec une photo du ministre mettant la main sur la bouche avec, en face, un gros titre: «Le prix du courage!». Reconnaissant que Daoudi s’est mis tout le monde à dos dans sa guerre contre les boycottistes, Al Ahdath précise que la mise à l’écart a été prise souverainement, sans interférence aucune, par la seule direction du PJD. Et ce, dans l’attente d’une décision royale qui scellera définitivement son sort au sein du gouvernement.
Pour sa part, Akhbar Al Yaoum, qui titre «Daoudi, le ministre renversé par la campagne de boycott», rapporte que le ministre délégué aux Affaires générales était dans l’œil du cyclone du PJD depuis plusieurs semaines, et ce à cause de ses sorties «intempestives» contre la campagne de boycott. Ainsi, le groupe parlementaire du parti de la lampe et son président, Driss Azami, ont tenu plusieurs réunions dans l’enceinte de l’hémicycle avant d’attirer l’attention d’El Othmani sur les «sorties irresponsables» de Douadi. La participation de ce dernier au sit-in devant le Parlement avec les ouvriers de Centrale laitière n’a été que la goutte de trop qui a fait déborder le vase.
Mais contre mauvaise fortune, le «démissionnaire» semble vouloir faire bon cœur. Au quotidien Assabah, qui est le seul média à lui avoir donné la parole en pleine tempête, Daoudi a déclaré: «Je ne suis pas né ministre et je ne le resterai pas indéfiniment». Avant d’ajouter : «J’ai toujours placé l’intérêt national avant toute autre considération, et celui du parti avant ma personne.» Un chant du cygne annonçant la fin d’un parcours gouvernemental commencé en 2012? Probablement, car, ironie du sort, la réunion des groupes de la majorité consacrée au plafonnement des prix du carburant, et dont il était censé être le chef d’orchestre, s’est tenue sans lui.