La «question algérienne» a pris la forme d’un débat qui a agité la France à la fin des années 50 du siècle dernier, au sujet du sort à réserver aux trois départements français d’Afrique du Nord. Aujourd’hui, l’histoire se répète et c’est toujours le sempiternel débat sur la «question algérienne», mais sous une autre forme.
Comment gérer la relation structurellement conflictuelle entre l’Algérie, pays né en 1962, et sa matrice? Un problème aggravé aujourd’hui par une approche macronienne de l’ancienne colonie, confuse, reposant sur un narcissique et vain pouvoir de séduction du président français et sa crédulité égocentrique en sa capacité à normaliser la relation entre la France et l’Algérie. Après tout, doit-il se dire, je suis venu de nulle part et ai été élu chef de l’Etat en France et mon parti qui n’avait pas 24 mois a obtenu la majorité à l’Assemblée nationale. Avec cette performance, Macron doit croire qu’il est en mesure de faire des schismes et de changer l’Histoire.
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En face, un pouvoir algérien illégitime, dont l’existence est consubstantielle au narratif sur les exactions de la colonisation française et les chiffres farfelus de victimes mortes pour libérer l’Algérie de l’envahisseur, ainsi que les récits fictifs sur une terre dont chaque centimètre est abreuvé par le sang de chouhadas, assassinés par les Français. Le système en Algérie instrumentalise la question mémorielle et invente, sans cesse, des brouilles et des désaccords dans le seul but de justifier sa pérennité au pouvoir.
Macron à rebours de ses prédécesseurs face à Alger
Tous les présidents de la cinquième république, prédécesseurs d’Emmanuel Macron, ont tenté des gestes de bonne volonté avec Alger. Ils étaient pour l’apaisement mais sans familiarité, ni proximité et encore moins de promiscuité –à coups de «bises»– avec les suppôts d’une dictature militaire féroce. Ils ont tous veillé à tenir à distance les gouvernants algériens, qu’ils soient militaires ou civils. Et encore moins dérouler le tapis rouge à un général éradicateur.
Emmanuel Macron a voulu aller à contre-courant de la prudence de ses prédécesseurs. Il a pensé «apprivoiser et assagir» un régime existentiellement inconséquent, instable, versatile, répressif et dont la légitimité et la pérennité –il fait le rappeler encore– dépendent intimement du narratif anti-français.
Sa très forte implication personnelle avec le régime algérien, non partagée par les Français, qui ont d’autres préoccupations, n’a fait que remettre inutilement à la Une de l’actualité la «question algérienne» –dans sa nouvelle mouture– qui est gérée par Macron à la manière d’un acteur qui a certes de la présence, mais se produit seul sur scène, alors que le texte qu’il joue implique d’autres acteurs.
C’est tout le problème, toute la naïveté ou le narcissisme du président français. Il pense qu’avec de bonnes intentions, on change l’histoire. Or avec la junte algérienne, il ne saurait être question de rationalité et encore moins de vérité dans la relation avec la France. Ouvrir, par exemple, les archives aux historiens et les laisser livrer la part vraie de «la guerre d’Algérie» signifierait la fin d’un régime qui ne tient que par la fabrique du mensonge. Seul un changement de génération et la substitution d’un pouvoir civil au pouvoir militaire –qui est au demeurant la revendication phare du Hirak– peuvent fournir à Macron les moyens de son ambition.
Tebboune l’irascible, accro aux réactions épidermiques
Alger reproche aujourd’hui à l’Elysée, en des termes brutaux, d’avoir fait «exfiltrer» l’activiste franco-algérienne Amira Bouraoui, une opposante d’ailleurs soft, qui aurait commis, selon la junte, le délit d’avoir manqué de respect au président et offensé l’islam? Drôle d’attelage accusatoire!
Après le temps des embrassades et celui de la visite d’une délégation ministérielle française XXL à Alger, voici le temps des volte-face et des réactions hystériques. La junte a décidé de rappeler son ambassadeur tout en s’en prenant violemment à la «barbouzerie française». Il faut savoir qu’Amira Bouraoui est peu connue et ne représente aucun danger ou risque pour le régime d’Alger justifiant sa réaction extrême. Mais elle a le mérite d’instruire sur deux aspects qui caractérisent «l’Algérie nouvelle» du duo Tebboune-Chengriha:
1- La réaction hystérique, épidermique comme mode de gouvernance. Tebboune est un gros fumeur, coléreux, irascible, qui confond décision et coup de sang. Peu de personnes ont relevé que suite au prétendu bombardement de camionneurs algériens par les FAR dans la zone tampon du Sahara atlantique, la présidence algérienne, c’est-à-dire Abdelmadjid Tebboune, a publié le 3 novembre 2021 un communiqué pour accuser le Maroc d’être derrière cet «assassinat lâche» qui «ne restera pas impuni». Cela veut dire que Tebboune s’est engagé formellement à des représailles auxquelles visiblement l’armée algérienne n’était pas prête.
2- Dans «la nouvelle Algérie» de Tebboune-Chengriha, il n’y a plus de presse. C’est une pitié de voir à quoi ressemble la presse algérienne aujourd’hui, servile et soumise totalement à la propagande du régime. Si la presse a été muselée, les youtubeurs algériens actifs depuis l’étranger sont la bête noire du régime qui est prêt à tout pour les faire taire, y compris en recourant aux assassinats. Or, voir une militante comme Amira Bouraoui, qui a montré de la prestance et de l’entrain quand elle animait une émission radio en Algérie, augmenter le rang de ces youtubeurs irréductibles, et bénéficiant d’une audience supérieure à celle à des médias publics, est un cauchemar insupportable pour la junte.
La lune de miel «élyso-mouradienne» qui a été vendue triomphalement comme un «acquis irréversible» a donc fatalement capotée. Pensant traiter avec un pays normal, dirigé par des gens normaux, la Macronie ne veut pas se désavouer en admettant l’impossibilité de construire quoi que ce soit de rationnel avec le pouvoir militaire algérien.