Le gouvernement du Mondial 2030

Mustapha Sehimi.

Mustapha Sehimi.

ChroniqueAziz Akhannouch s’emploie à diluer le «check-up» de son cabinet finissant dans une autre perspective. Il entend d’ores et déjà enjamber le rendez-vous électoral de 2026 pour l’insérer dans une perspective allant jusqu’à l’horizon 2030.

Le 03/04/2025 à 16h55

Le cabinet Akhannouch a été investi pour la présente législature de cinq ans (2021-2026). Sauf circonstance exceptionnelle, il est donc en fonctions jusqu’à septembre-octobre 2026. Il lui reste dix-huit mois d’ici là. Dans cette perspective, il lui faudra achever l’année en cours et s’atteler ensuite à mettre en œuvre bien des politiques publiques à l’ordre du jour. Gageons sans grand risque que l’année 2026 sera plutôt celle d’une pré-campagne électorale. Celle-ci aurait d’ailleurs commencé ces dernières semaines avec la diffusion de spots sur des médias publics -une opération dénoncée au passage par des partis d’opposition. Il ne reste sur une année entière que les trois trimestres de 2025 pour accélérer le rythme des réformes.

Qu’en est-il au vrai ? Ce qui frappe, c’est quelque chose de singulier. L’on observe en effet que le chef actuel de l’exécutif se projette volontiers au-delà de l’agenda électoral normal de 2026, pour mettre l’accent sur la période triennale (2026 -2028) dans la dernière circulaire adressée aux membres de son cabinet; ou encore, auparavant, avec l’annonce de grands projets de renforcement des infrastructures et de stimulation du développement économique et social. L’on peut mettre cela après tout sur le compte du cahier de charges de la co-organisation avec l’Espagne et le Portugal de la Coupe du monde 2030. Mais un tel programme n’est pas à proprement parler éligible au Rassemblement national des indépendants (RNI) qu’il préside depuis octobre 2016: ce n’est pas du cru de cette formation; et il sera difficile lors de la prochaine campagne électorale de s’approprier tous ces chantiers.

Là où l’interpellation peut porter regarde un autre secteur: celui de l’objectif de réduction du taux de chômage de 13% à 9% en 2030, avec la création de pas moins de 1,45 million d’emplois à travers près d’une dizaine d’initiatives. La crédibilité de cette annonce reste fortement sujette à caution. N’est-ce pas ce même Chef de gouvernement qui, en octobre 2021, dans son programme d’investiture par le Parlement, avait avancé la création d’un million d’emplois durant sa présente mandature? En tout cas, pour les trois années écoulées, le solde net global a été médiocre, avec 75.000 emplois et un taux de chômage qui s’est aggravé de 11,8% en 2022 à 13,3 % en 2024. Le Chef du gouvernement est plus optimiste pour 2025-2026, avec 350.000 nouveaux emplois. Un chiffre qui laisse dubitatifs les opérateurs, les experts et les citoyens.

«Les deux alliés du RNI, que sont le PAM et le PI, ont déjà commencé à pratiquer une certaine distanciation par rapport au Chef du gouvernement.»

Cette gouvernance-là est-elle donc une fatalité? Des annonces optimistes d’un côté et des chiffres têtus bien en deçà de l’autre! Les prévisions actuelles de croissance retiennent un taux de 3,5% en 2025 et un chiffre voisin en 2026. Dans son rapport «Business Ready 2024» (qui a succédé en 2021 au projet «Doing Business»), récemment publié, la Banque mondiale dresse un tableau significatif de la situation du Maroc. Il surpasse le premier lot de pays de revenu similaire pour ce qui est de l’évaluation des cadres réglementaires et des services publics, mais affiche des performances moins favorables en termes d’efficacité opérationnelle. Les faiblesses concernent en particulier l’emploi, la résolution des litiges et l’insolvabilité des entreprises.

Tant de réformes structurelles restent à entreprendre! Or, les partis de la majorité (RNI, Parti authenticité et modernité et Parti de l’Istiqlal) sont tenus encore durant un an et demi par les contraintes de la solidarité. Difficile pour les deux alliés que sont le PAM et le PI de ne pas respecter l’accord d’octobre 2021. Comment justifier alors un éventuel retrait? Ce qu’ils ont commencé à pratiquer est une certaine distanciation par rapport au Chef du gouvernement. Mais le lieu géométrique du décrochage et de la critique supporte des limites. La tentation restera cependant forte de retrouver une certaine liberté d’évaluation de la politique de ce cabinet. Nizar Baraka, dirigeant du PI, s’y exerce, tout comme Fatima Ezzahra El Mansouri, à la tête du PAM. Voilà qui annonce à terme une rude campagne électorale en 2026: quel parti assumera quoi? Qui revendiquera le bilan global ou à tout le moins des bilans sectoriels?

C’est sans doute parce qu’il prend en compte tous ces paramètres variables qu’Aziz Akhannouch s’emploie à diluer le «check-up» de son cabinet finissant dans une autre perspective. Il entend d’ores et déjà enjamber le rendez-vous électoral de 2026 pour l’insérer dans une perspective allant jusqu’à l’horizon 2030. Une manière de préempter déjà le prochain scrutin… Dans cette même démarche, il se préoccupe de crédibiliser implicitement ce plaidoyer: «Votez pour moi et mon parti, nous sommes le gouvernement de 2030!» Cet argument électoraliste peut-il sérieusement entraîner une adhésion massive des électeurs? Rien n’est moins sûr. Pour plusieurs raisons liées entre elles d’ailleurs: l’impopularité installée du Chef du cabinet, les difficultés du gouvernement remanié en octobre dernier à mouvoir une dynamique réformatrice, le peu de crédit de la parole publique, sans parler de l’aggravation des inégalités, de la corruption et des conflits d’intérêts. Les électeurs ne manquent certainement pas de sagacité: ils se prononceront en 2026 sur un bilan sans que leur vote soit obéré et brouillé par le Maroc mirifique de 2030!

Par Mustapha Sehimi
Le 03/04/2025 à 16h55

Bienvenue dans l’espace commentaire

Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.

Lire notre charte

VOS RÉACTIONS

0/800