La semaine dernière, le ministre de l’Intérieur préside une réunion au siège de la wilaya de Casablanca. Mohamed Hassad transmet aux responsables le mécontentement et la profonde déception du roi Mohammed VI par rapport aux projets urbanistiques qui s’articulent autour de l’ancienne médina de Casablanca. Quelques jours avant cette réunion, les autorités de la préfecture de Casablanca-Anfa ont ordonné la démolition du showroom de la CGI, dans la nuit du 23 au 24 janvier, ainsi que l’arrêt provisoire de certains chantiers du projet Casablanca Marina, dont un hôtel de luxe. La démolition du showroom de la CGI n’est pourtant que la face apparente de la détermination à mettre un terme à une série de dépassements qui détournent l’un des projets les plus structurants de Casablanca de la vision initiale qui lui a été assignée par le roi Mohammed VI. Ce projet est de surcroît une composante majeure de l’ambition royale pour la capitale économique, comme en témoigne le discours du souverain au Parlement le 11 octobre 2013.
Il n’y a aura pas de développement urbanistique à Casablanca sans médina
La réhabilitation de l’ancienne médina est au cœur de tous les projets de la zone portuaire. «Casablanca Marina a failli jusque-là au respect de l’intégration de la médina, pénalisant de la sorte la population casablancaise qui aspire de tous ses vœux à la valorisation des sites historiques de sa ville», confie à Le360 une source qui a assisté à la réunion présidée par le ministre de l’Intérieur. Le projet central, c’est la médina de Casablanca. Les projets Casablanca Marina et Wessal Casablanca-Port s’articulent autour de la médina et ne peuvent se développer indépendamment de ce site historique. Lieu de mémoire et berceau de la résistance casablancaise, la médina était non seulement laissée à l’abandon, mais menaçait de s’effacer en raison de l’effondrement de certaines maisons, ainsi que de la paupérisation de ses habitants. Cette médina a eu l’opportunité de retrouver une apparence digne et accueillante grâce aux instructions royales liées à sa valorisation.
Dotée initialement d’un budget de 300 millions de dirhams, la médina de Casablanca apparaît comme le noyau autour duquel s’articulent les différents chantiers urbanistiques qui ont été réfléchis en réseau et non pas en pôles distincts. Une enveloppe supplémentaire de 300 MDH a été justement octroyée à la réhabilitation de l’ancienne médina, à l’occasion du lancement du projet Wessal Casablanca-Port. Au total, 600 millions de dirhams ont été dédiés à la réhabilitation et la valorisation de la médina. Ce qui constitue un fonds substantiel pour permettre au site de renaître de ses cendres.
Malheureusement, le projet a été détourné de sa vocation et l’esprit de la médina n’a pas été respecté. En témoigne, la muraille de la Sqala qui a pâti des dérogations accordées. Pire : obstruée par le béton, la place qui devait relier la Sqala à la médina, n’est plus d’actualité. La grande muraille a également subi de mauvaises modifications. Au rythme où vont les effractions, pourrait-t-on un jour voir achevé ce projet ? Faudra-t-il un budget additionnel pour redonner à la Sqala son apparence d’antan ? Qui va payer ? L’un des principaux bailleurs de fonds de la réhabilitation de la médina, à savoir Wessal Capital, acceptera-t-il ces dépassements ?
Compte tenu de la vocation, à la fois touristique et culturelle, de Wessal Capital, composé de cinq fonds souverains (Maroc, Emirats Arabes Unis, Qatar, Kuweit et Arabie Saoudite), il semble peu probable que ces bailleurs de fonds acceptent que la réhabilitation de la médina soit un échec. D’ailleurs, les autres projets de Wessal Capital à Tanger et à Rabat s’articulent autour de structures artistiques et culturelles. En témoignent, le port de Tanger et la vallée du Bouregreg à Rabat-Salé qui est dotée de quatre équipements culturels : le grand théâtre conçu par Zaha Hadid, le musée des Archives, le musée de l’Archéologie et des Sciences de la Terre, ainsi qu’une maison de la culture.
Visiblement, les bétonneurs et ceux qui ont délivré des dérogations ne mesurent pas à quel point la culture est axiale dans les projets de Wessal Capital. Ces piétineurs de la mémoire ne se posent même pas la question de savoir si Wessal Capital est disposé à accepter la remise en question de son projet initial.
La valorisation de la médina au cœur de tous les projets
Le projet de réhabilitation de l’ancienne médina est l’un des chantiers essentiels de la métropole. Concrètement, ce projet vise l’amélioration des conditions de vie de la population, la création de nouveaux équipements, la sauvegarde des monuments, l’amélioration de l’attractivité touristique, ainsi que la redynamisation des activités économiques.
Dans le détail, le projet, qui devrait s’étaler jusqu’en 2018, est réparti sur trois programmes distincts. Le premier concerne les chantiers recensés comme «prioritaires» pour l’amélioration des conditions de vie des populations. Ce programme intègre, entre autres, le relogement des ménages bidonvillois ou occupant des bâtiments publics, le traitement des habitations menaçant ruine ou encore la restauration de la muraille et la réfection des voiries. Le deuxième programme concerne, pour sa part, les études et le diagnostic de tous les habitats présentant des risques d’effondrement. Enfin, le troisième programme prévoit la réhabilitation et la valorisation des édifices ayant une valeur architecturale et patrimoniale, ainsi que la mise en place d’un plan de sauvegarde. Sont ciblés par ce troisième programme le mausolée Sidi Allal Karouani, la synagogue Ettedgui, ainsi que quatre foundouks (anciens hôtels).
Wessal Casablanca-Port est l’un des projets les mieux ancrés à la médina. Quelques 6 milliards de dirhams d’investissements ont été annoncés en avril 2014 par le fonds Wessal Capital, composé dans le cadre du projet Wessal Casablanca-Port. Ce vaste chantier intègre plusieurs composantes urbanistiques, touristiques et culturelles sur une superficie globale de douze hectares.
En plus de la création d’un nouveau centre urbain dans la zone portuaire, Wessal Casablanca-Port prévoit des chantiers visant la valorisation des infrastructures liées aux activités maritimes. C’est dans ce sens qu’il intègre la construction d’un nouveau port de pêche, le transfert du chantier naval et la mise en place d’un terminal de croisière. Le tout sera érigé autour d’une marina dont l’objectif est de constituer un repère à l’international pour la métropole et d’amorcer une dynamique pour le tourisme de plaisance.
Des dérogations en série dès 2006
Le projet Casablanca Marina a été lancé en 2006 sur une superficie de 26 hectares avec des investissements dépassant 8 milliards de dirhams. D’emblée, ce projet avait pour objectif de doter la côte casablancaise de bâtiments à la fois modernes et bien intégrés dans leur environnement. Le respect de l’architecture de l’ancienne médina, ainsi que sa valorisation, sont une composante essentielle du projet de Casablanca Marina.
Dès 2006, les dérogations, accordées par une commission présidée par le wali du grand Casablanca, ont ouvert des brèches dans ce concept novateur d’aménagement urbanistique. Casablanca Marina avait pour objectif de créer un pôle urbain à la pointe de la modernité, mais en étant harmonieusement ancré à l’ancienne médina. Cette dialectique du nouveau et de l’ancien est essentielle pour que la composante historique de la ville soit valorisée et pour que les bâtiments neufs ne revêtent pas l’allure d’un tas de béton, de fer et de verre sans âme. La Marina de Casablanca devait servir de vecteur de valorisation urbanistique de l’ancienne médina et de la population qui y vit. De plus, le projet de la Marina devait permettre une ouverture sur la mer, dans le respect de la côte casablancaise. En somme, Casablanca, une ville ouverte sur sa côte maritime, à l’instar d’autres métropoles comme Barcelone.
Cette vision urbanistique avait été clairement définie dès le lancement du projet Casablanca Marina. Or, l’harmonie et la vocation du projet ont sévèrement pâti des dérogations accordées en 2006.
L’avenir de Casablanca ne peut être hypothéqué par la spéculation
La démolition du showroom de la CGI, ainsi que l’arrêt de certains chantiers tiennent lieu d’un avertissement sévère pour remettre la médina de Casablanca au centre de tous les projets qui poussent dans la zone portuaire. La composante humaine, ainsi que l’intégration des architectures dans leur environnement sont essentielles dans ces chantiers urbanistiques qui engagent durablement le futur de la ville sur plusieurs générations. Les investissements lourds ne peuvent constituer une excuse pour s’engager dans des logiques d’optimisation immobilière et encore moins imposer la politique du fait accompli. Il vaut mieux réparer des dérapages au lieu d’en subir les conséquences pour toujours.
Casablanca est une métropole en pleine mutation. Un urbanisme à visage humain, à la fois moderne et enraciné dans l’histoire, profitera davantage à la ville et à sa population. La spéculation immobilière a jusque-là gagné la partie, confortant les promoteurs dans le non respect des schémas urbanistiques initiaux. Conséquence : Casablanca a raté son rendez-vous avec l’urbanisme. Ce qui pose de facto des problèmes considérables sur le plan du développement durable. Il est urgent de mettre un terme aux passe-droits et aux dérogations qui détournent les chantiers structurants des objectifs qui leur sont assignés à l’origine. Et c’est le sens du message de mécontentement et de déception du souverain, transmis aux responsables par le ministre de l’Intérieur.