La lettre adressée par le Bureau politique du Rassemblement national des indépendants (RNI), parti qui conduit l’exécutif, à son homologue du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS), parti d’opposition, en réponse à une lettre ouverte adressée au Chef de gouvernement par Nabil Benabdallah, secrétaire général du PPS, appelle plusieurs interrogations.
Sur la forme, la missive du RNI utilise un ton un tantinet condescendant: «nous sommes majoritaires», voire péremptoire: «c’est comme ça et pas autrement». Un ton pas très indiqué pour un parti qui conduit le gouvernement et qui devrait avoir le souci de préserver un dialogue serein avec l’opposition. Opposition, doit-on le rappeler, valorisée par la Constitution du Royaume et qui est parfaitement dans son rôle en se positionnant comme relais des mécontentements de certaines couches de la population.
Peut-être faut-il imputer ces manières à de l’exaspération face une pression grandissante venant de toutes parts: le conflit en Ukraine qui s’installe avec son lot de renchérissement des matières premières, une campagne agricole claudicante, les hauts chiffres de l’inflation et le débat sur la manière de la juguler, les investissements privés qui ne démarrent pas ou encore la révision à la baisse des taux de croissance pour 2023. Malgré cela, il serait souhaitable que la majorité montre qu’elle peut garder son sang-froid.
Sur le fond, le principal grief fait à la lettre ouverte du SG du PPS par la direction du RNI est son caractère public : la lettre ouverte. Le fait que Nabil Benabdallah ait voulu porter une question d’actualité sensible, qu’est le coût de la vie, sur la place publique au lieu de se contenter de passer par le classique circuit parlementaire n’a pas été du goût du RNI. Ce dernier marque ainsi son souhait de maintenir le débat politique dans l’enceinte du parlement, craignant que son élargissement à la société puisse le rendre contreproductif, voire moins contrôlable.
La problématique posée par les deux lettres -élargir ou restreindre le débat politique- interroge les limites que les partis politiques au Maroc assignent à l’exercice démocratique et bien au-delà à la participation politique et à la culture démocratique (cf. L’indice de démocratie publié par The Economist Group).
Dans le monde, le nombre de régimes autoritaires est bien supérieur aux régimes démocratiques. Le Maroc fait partie de ces derniers, et c’est une chance que les partis politiques marocains doivent saisir. Non pas uniquement pour arriver au pouvoir à travers des élections, mais pour s’imprégner de la culture participative et l’utiliser afin d’améliorer leurs relations avec la population, leurs propositions et leurs performances gestionnaires. Bref, s’imprégner de culture démocratique faite d’écoute, d’échanges et de capacité à convaincre.
L’Histoire politique récente du Maroc est riche d’échecs de projets gouvernementaux, menés par des technocrates au brillant parcours, parce qu’ils ont été conçus et menés exclusivement dans les bureaux de ministères avec l’aide de cabinets-conseils. Les logiques des projets sociaux diffèrent des projets d’entreprise. Ce n’est pas la même cible et la communication doit être adaptée.
Le talent d’un homme politique se jauge à sa capacité à expliquer ses projets, emporter l’adhésion de la population et transformer l’apathie en mobilisation. Pour cela, il ne doit pas s’armer uniquement de compétences techniques, qui sont aujourd’hui plus que jamais nécessaires, mais aussi de la capacité à donner «un sens et un souffle» aux réformes. Mettre les choses en perspective et savoir faire rêver. Surtout dégager de l’empathie.
Une communication proche de la population, exprimant un intérêt et une compréhension de ses difficultés, voire compatissante, évitera mésentente, perte de confiance et rejet. Des sentiments attisés par des réseaux sociaux en quête de sensations et aux discours populistes, heureux d’occuper la place laissée vacante par un Parlement inaudible, des partis politiques pauvres en propositions et des corps intermédiaires marginalisés.
Le Parlement est une enceinte importante dans la vie démocratique, elle ne doit pas toutefois monopoliser le débat sur les questions d’intérêt public. Faire appel à d’autres instances -société civile, presse, universités… ne peut être que bénéfique pour le développement économique et la construction démocratique.
La sortie de crise, la réussite des réformes et le retour de la croissance demandent plus que des solutions techniques, ils ont besoin d’une classe politique imbue de convictions démocratiques, compétente et capable de développer une bonne gouvernance dans une société de libertés. Une classe politique ayant une conduite politique moderne.