Belle leçon de bravoure donnée par l’Ukraine au puissant voisin russe. Qui aurait parié un rouble sur la longue résistance des Ukrainiens, inférieurs, et de loin, en équipements militaires et en nombre face aux Russes.
Aux premiers jours du conflit, l’armée russe a fait une forte impression en clouant au sol l’aviation ukrainienne et en pénétrant l’Ukraine par trois points cardinaux: Est, Nord et Sud. Toutefois, une fois proche de la capitale Kiev, la machine russe a commencé à se gripper: problèmes logistiques, vulnérabilité des convois qui s’étalent sur des kilomètres, difficultés et perméabilité des communications, performances limitées des chars de combat, troupes pas très aguerries, perte d’un nombre anormalement élevé d’officiers supérieurs (des généraux).
L’ensemble a fait que Kiev, qui était dans la ligne de mire, n’est pas tombée.
En face, l’armée ukrainienne a rapidement repris confiance et a mieux organisé sa défense, encouragée par l’arrivage de premiers renforts en armes des alliés occidentaux. D’abord du léger en petit nombre: casques, gilets pare-balles, armes légères, lance-roquettes, drones. Ensuite en quantités et qualités plus importantes et variées.
Voyons les causes de cette graduation de «l’aide» occidentale, ses incidences militaires et politiques et ses visées géostratégiques.
On en sait un peu plus, maintenant, de la situation avant conflit. Les éléments de l’armée ukrainienne étaient entraînés bien avant le déclenchement du conflit par des officiers de l’OTAN. Les Américains soupçonnaient grandement Vladimir Poutine et son équipe de préparer une invasion de l’Ukraine pour s’opposer à toute velléité de Zelensky de rejoindre l’Alliance Atlantique. Leurs soupçons se sont avérés fondés. Demeuraient pour eux deux inconnues: les capacités opérationnelles de l’armée russe devant une armée classique et la réaction du peuple ukrainien face à une invasion. Ils ont été doublement surpris et «agréablement»: l’armée russe a fait preuve de limites surprenantes sur le terrain et les Ukrainiens ont montré qu’ils étaient décidés à se battre.
La situation créée, porteuse de plusieurs opportunités, était trop belle pour les Américains pour ne pas être mise à profit: mener une guerre par «délégation» contre les Russes pour les affaiblir et endiguer leurs ambitions de puissance, enterrer la volonté européenne d’être une «puissance autonome», revitaliser l’OTAN comme unique organisation de défense de l’Occident, redessiner la carte des échanges des énergies fossiles en faveur du gaz américain d’abord…
Bref, assurer son leadership sur l’occident, affaiblir la Russie et envoyer un message clair à la Chine pour le futur.
On s’en doute, cette stratégie a eu besoin de moyens financiers. Les Américains, une fois convaincus de la volonté des Ukrainiens, ont pu mobiliser dans ces 100 premiers jours 54 milliards de dollars d’aides pour l’Ukraine. Soit 80% du budget de l’ensemble de l’armée russe en 2022 qui est de 66 milliards de dollars. Ils envisagent d’arriver dans les prochains mois à 100 milliards de dollars. Pour demeurer leader, il faut savoir mettre la main à la poche, sans compter.
Bien sûr, la Russie n’est pas finie. Sur le terrain, son armée, tout en se redéployant, occupe toujours 20% du territoire de l’Ukraine, d’après une déclaration récente du président Zelensky. Elle a pratiquement sécurisé la région du Donbass et a assuré la jonction au sud avec la Crimée. L’hypothèse d’une défaite russe semble peu probable, même avec les moyens fournis par les Américains aux Ukrainiens.
La Russie dispose d’un arsenal nucléaire. Par contre, une guerre d’usure reste envisageable. Le président Zelensky ne veut plus entendre parler de céder la région du Donbass à la Russie, encouragés probablement par «ses amis». Economiquement la Russie ne souffre pas beaucoup des sanctions, elle s’y était préparée, elle vend toujours à l’Europe pour 1 milliard de dollars de gaz par jour. Avant le conflit, elle disposait d’une réserve en devises et or de 600 milliards de dollars. Elle a aussi un stock exportable de 50 millions de tonnes de céréales.
Peut-elle tenir longtemps? Cela dépend de l’Europe et de la Chine. Deux puissances qui semblent hésiter face à des Etats-Unis d’Amérique plus que jamais décidés à porter l’estocade à une Russie qui dispose certes de ressources naturelles et de capacités de dissuasion, mais dont le PIB n’est que le un quinzième de l’Américain. Dernièrement, le président Macron, au nom de l’Union Européenne, a lancé un timide «il ne faut pas humilier la Russie», soutenu par une Allemagne qui est consciente qu’il lui faut du temps pour se passer du gaz russe, mais critiqué par d’autres membres de l’union qui ont un contentieux historique avec la Russie. La Chine aussi a une attitude plus réservée, malgré une déclaration clivante de Joe Biden sur Taïwan. A-t-elle pris la mesure des capacités réelles des uns et des autres? A savoir.
Vladimir Poutine a-t-il surestimé les capacités de son pays et/ou sous-estimé la réaction américaine? Au vu de ce qu'il s’est passé ces 100 derniers jours, les deux à la fois. Et puisqu’il faut désigner qui a marqué le plus de points, nous dirons pour l’instant les USA. Puissance qui allie intelligemment moyens économiques et militaires.