On s’en doute, l’équipe qui a préparé la décision historique d’appuyer la proposition d’autonomie proposée par le Maroc a dû se faire quelque part violence. La diplomatie espagnole a toujours voulu garder la main dans le dossier du Sahara. Elle profitait de son statut d’ancienne puissance occupante pour faire pression sur le Maroc et pourquoi pas le priver définitivement de son Sahara, pour l’affaiblir à long terme. Pour ceux qui douteraient, rappelons que l’Espagne n’a pas hésité à priver le Maroc de son espace méditerranéen durant 4 siècles, du XVIe au XXe siècle.
Qu’est-ce qui a pu faire changer d’avis à l’Espagne?Une décision de cette envergure ne peut être le produit d’évènements uniquement factuels. Elle est d’abord le résultat d’une prise en compte des évolutions géostratégiques et économiques majeures qu’ont connu le Maroc et la Méditerranée occidentale ces deux dernières décennies.
Le dynamisme économique affiché par le Maroc à partir de la fin des années 90 avait incité les opérateurs économiques espagnols à nous porter un intérêt croissant. La complémentarité des deux tissus économiques et l’accord de libre-échange avec l’Europe ont rapidement permis au voisin du Nord de devenir à partir de 2012 notre premier partenaire commercial et le deuxième investisseur. Le Maroc représente pour l’Espagne le premier partenaire en Afrique, il devance désormais l’Amérique latine et permet aux Ibères de coiffer sur le poteau la France un concurrent historique dans la zone.
Au dynamisme économique, notre pays a su ajouter des compétences sécuritaires, hautement appréciées chez nos voisins du Nord. Lutte contre le terrorisme et le trafic des stupéfiants, contrôle des flux migratoires et professionnalisme des renseignements, le Maroc a développé une expertise reconnue dans ces domaines dont l’Espagne a grandement besoin pour assurer sa stabilité.
La multiplication des accords de libre-échange conclus par le Maroc, l’ouverture par dizaines de nouvelles ambassades, l’établissement de partenariats stratégiques avec de grandes et moyennes puissances, notre implantation en Afrique en tant qu’investisseur qui a su construire des réseaux, le retour à l’Union africaine (UA). Voilà quelques points saillants pris en compte par les analystes espagnols des nouvelles réalités géostratégiques de la région.
Point très certainement pris en considération aussi, la décision des Etats-Unis de reconnaître notre souveraineté sur le Sahara. Décision qui a bousculé l’imaginaire de la classe politique espagnole et d’une grande partie du peuple espagnol qui l’ont vécue comme un lâchage. Eux qui se sont considérés depuis 1945 comme les alliées des Etats-Unis, des atlantistes convaincues, le rempart catholique contre l’invasion maure.
Citons encore deux points qui ont pesé dans la décision espagnole- Le développement qu’a connu le nord du Royaume ces dernières années qui confirme le retour du Maroc dans la Méditerranée et à terme pose entre autres les problématiques de compétitivité du sud de l’Espagne et la survie de Sebta et Melilia.
-L’effort de développement réalisé au Sahara par le Maroc ne peut laisser insensible une Espagne qui n’y a rien laissé. Le Sahara est important pour le Maroc, il le prouve et entend y rester quoi qu’il en coûte.
Probablement, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avait en tête ces éléments quand il a rappelé aux Espagnols que le Maroc d’aujourd’hui diffère du Maroc d’hier et les a invités à revoir leur approche.
C’est apparemment chose faite à la lecture de la lettre que le président du gouvernement, Pedro Sanchez, a adressé au roi Mohammed VI.
La nouvelle approche proposée par l’Espagne et acceptée par le Maroc, notre ambassadrice a rejoint son poste, et se caractérise du côté espagnol par la lucidité, le courage politique et le souhait d’entamer une nouvelle page de l’histoire dans nos relations.
Le gouvernement espagnol a fait preuve de lucidité, en prenant acte du nouveau positionnement de notre pays dans la région et des intérêts en jeu, il a plus à perdre qu’à gagner en sacrifiant ses relations avec le Maroc. La comparaison avec le voisinage est à notre avantage.
Il a fait preuve de courage politique, le sujet est sensible en Espagne: les résultats ridiculement tristes des sondages placent souvent le Maroc comme principale menace pour le peuple espagnol. L’animosité contre le Maroc fédère bizarrement les conservateurs nostalgiques, «l’Etat profond» et la gauche extrême. Gageons qu’il saura les convaincre d’accepter les nouvelles réalités.
Le roi Mohammed VI, exprimant un désir profond de la nation marocaine, avait à plusieurs reprises invité les Espagnols à ouvrir une page nouvelle dans nos relations qui respecte les nouvelles réalités économiques et géostratégiques du Maroc, nos aspirations légitimes et ouvre grandes les portes à une prospérité partagée. Apparemment il a été écouté. En ce sens le président du gouvernement, Pedro Sanchez a, lui aussi, fait preuve de sens de l’Etat et aura contribué à rapprocher les deux Royaumes.
L’histoire retiendra, très certainement, cet évènement qui devrait clore de longs siècles de compétition pas toujours en faveur des deux peuples et ouvrir de nouvelles routes.